Si aujourd’hui, il ne fait aucun doute que Yahya est l’un des designers et artistes valorisant avec le plus grand raffinement la lumière, cet autodidacte n’était pas voué à cette carrière. Au hasard d’un voyage à Marrakech, c’est un coup de foudre avec la lumière et l’envie d’un nouveau départ qui mèneront ce londonien à ouvrir une galerie à Marrakech en 2005. Depuis, son parcours est constellé de pièces décoratives époustouflantes, d’éléments architecturaux novateurs et de sculptures monumentales qui se succèdent sans se ressembler.
A quand remonte votre coup de foudre avec la lumière ?Cela peut sembler un peu surprenant, mais je dois ma fascination pour la lumière à mon fils. Lors de notre premier voyage au Maroc, il était encore tout bébé et il a très mal supporté l’avion. Même à notre arrivée à l’hôtel, il continuait de pleurer sans cesse. Pour l’apaiser, je suis sorti le balader dans les couloirs et tout à coup ses pleurs ont cessé. J’ai d’abord pensé qu’il s’était endormi avec le mouvement de la poussette puis j’ai constaté qu’il était bien réveillé et qu’il était fasciné par la lumière d’un lustre traditionnel en verre coloré et en métal. Ce jour-là, mon attention a, elle aussi, été captée par cette lumière et les figures subtiles qu’elle renvoyait autour d’elle.
Pouvez-vous revenir brièvement sur votre parcours ?
Bien que mon père soit d’origine marocaine, j’ai découvert ce pays à l’âge adulte. Je vivais à Londres et je n’évoluais pas du tout dans le domaine artistique. J’étais dans l’événementiel et les arts martiaux ! Après mon premier voyage, j’ai commencé à m’intéresser à l’artisanat marocain et à vendre quelques pièces en Angleterre. Peu à peu, j’ai eu envie de vivre une nouvelle expérience en m’installant à Marrakech. Dans un premier temps, je travaillais uniquement avec des pièces du souk que je pimpais avec quelques artisans. Peu à peu, l’engouement en Angleterre pour ce type de pièces a baissé. Ayant peu d’occupation, l’un deux m’a demandé de lui donner quelque chose à fabriquer. Pour être honnête, à ce moment-là, je n’étais pas du tout créatif et j’étais loin d’être doué en dessin. Ma force à moi, c’était d’avoir l’œil pour trouver les pièces qui plairaient à mes clients. Il a insisté jusqu’à ce que je lui tende un croquis, qu’il a jugé très mauvais d’ailleurs. C’est alors que nous avons tenté de projeter mon idée en discutant. Pour nous amuser, nous avons réalisé quelques objets de la même façon. Assez fortuitement, j’ai reçu ma première commande de l’un des mes amis newyorkais qui avait aperçu les pièces à l’atelier. Il m’avait dit qu’il était certain qu’elles allaient plaire aux Etats-Unis, mais je ne l’avais pas pris au sérieux. Rapidement, j’ai eu la surprise de recevoir d’importantes commandes de professionnels américains et, petit à petit, ils m’ont persuadé de considérer et d’exploiter ma créativité. Après un an, j’ai décidé d’ouvrir une galerie à Marrakech. De la même façon, le hasard a bien fait les choses, car le jour de l’ouverture, un passant, qui s’est avéré très influent, a adoré mes produits et a convaincu beaucoup de monde de venir les découvrir. Petit à petit, j’ai eu de nombreuses commandes et j’ai commencé à être contacté pour des projets extraordinaires. Au début, j’avais du mal à réaliser que je créais des choses aussi folles pour des gens que je ne pensais jamais pouvoir rencontrer. Ce sont mes clients qui m’ont poussé à créer de plus en plus et à expérimenter toujours de nouveaux horizons. Aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir m’exprimer à travers des luminaires, des sculptures, des installations et d’avoir une clientèle venant d’Asie, d’Inde, d’Europe.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre démarche créative ?
Au départ, je tentais simplement d’être créatif et de m’exprimer visuellement. Sans penser une seconde que j’étais un artiste, j’ai tenté d’introduire une certaine sophistication à la production de l’époque. Mon objectif était de ciseler le métal comme s’il s’agissait d’un métal précieux et de proposer de beaux objets qui racontent des histoires dans un contexte particulier.
Si vous n’aviez que quelques mots pour définir votre travail, quels seraient-ils ?
Mon style est subtil mais puissant. Il n’est pas bling bling. Au contraire, j’essaie d’approcher de l’essence et de la pureté d’une idée, d’un mouvement, .. Pour moi, rien ne doit être superflu. Si un élément est présent dans une pièce, c’est qu’il y a une raison. Ce que j’apprécie aussi c’est de garder une certaine part de mystère dans mes pièces et d’interpeller les gens qui les observent. Aujourd’hui, ce qui me passionne aussi dans mon travail c’est d’avoir la chance d’explorer différents horizons et expressions culturelles. Mes créations tendent à une certaine universalité et intemporalité. Je n’essaie pas de me raccrocher à des symboles compris d’un certain peuple à un instant t. Lorsque j’ai des clients asiatiques ou indiens, je revisite les éléments que j’observe dans leur culture et je leur propose une version personnelle qui va challenger leur regard. C’est justement ce qu’ils apprécient dans ma démarche.
Qu’est-ce qui vous inspire le plus ?
Mes clients ! Eux me prennent souvent pour un artiste. Moi, j’estime que c’est eux qui pousse à imaginer des choses que je ne me serais jamais permis d’imaginer seul. Leurs idées, leur univers, leur rêve et leur confiance m’obligent presque à aller toujours plus loin dans l’excellence et la rareté. C’est ce qui s’est passé avec la Villa Treville, un très grand projet d’hôtel à Positano en Italie. La villa ayant déjà une très riche histoire, son propriétaire voulait vraiment marquer son époque avec des œuvres magistrales, capables de perdurer dans le temps. Ma deuxième grande source d’inspiration, c’est la nature. Je suis fasciné par l’art et les mathématiques déployés dans la nature. Finalement, c’est elle qui nous a inspiré toutes les formes fondamentales du design, les réplications, les mécanismes exceptionnels.
Aujourd’hui, qu’est-ce qui est le plus challengeant dans vos projets ?
Cela demeure les attentes des clients, car il faut continuer à faire de mieux en mieux. Chaque projet est un défi. Les clients sont vraiment co-auteurs du projet. Parfois, ils ont plus confiance en moi que moi-même. J’ai eu l’occasion de créer des choses exceptionnelles pour de nombreuses villas privées ici et ailleurs, pour le Royal Mansour, La Mamounia, des établissements en Angleterre, en Italie, etc. Et à chaque fois, ce qui est amusant et surtout très motivant, c’est qu’il faut innover, aller plus loin dans la réflexion et la mise en œuvre, sinon cela n’a pas de sens. Cette année, j’ai été très impressionné de travailler pour la première fois sur un yacht Friendship. C’était un projet exceptionnel qui a gagné le prix «Meilleur Mega Yacht 2020». Tous les intervenants doutaient de la réussite de mon intervention, mais le propriétaire lui demeurait convaincu. Finalement, nous avons atteint une synergie parfaite. Ce qui m’a particulièrement challengé c’est de contextualiser mes créations dans leur environnement tout en le sublimant.
Souhaitez-vous explorer d’autres matières que le cuivre ?
Le métal aura toujours avoir une place à part dans mon cœur. Sur chacun de mes projets, je tente de pousser la frontière de son utilisation et de défier les lois de la sculpture. Il m’est arrivé d’avoir une demande qui m’a vraiment conduit à trouver des solutions improbables pour pouvoir créer la pièce que j’avais convenue avec le client. J’adore les défis ! Faire des erreurs et expérimenter, c’est ce qui me motive. Je vais continuer à faire des pièces d’art et des sculptures. Et plus tard, sans doute, je tenterais de m’exprimer autrement.
Si vous n’aviez aucune contrainte, que rêveriez-vous de créer ?
Ce que j’aimerais vraiment c’est de pouvoir créer une œuvre monumentale au cœur du désert marocain, qui serait visible du ciel et qui pourrait traverser les époques. Je suis fasciné par l’intemporalité de certaines structures créées par l’homme comme les pyramides. Sans explication relative au contexte de création, tout le monde est touché en les voyant.