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Luxe

Travail d’orfèvre chez Puiforcat

By août 27, 2014septembre 4th, 2024No Comments

Depuis près de deux siècles, la maison Puiforcat est non seulement l’orfèvre des plus belles tables, mais également celui des amateurs et des collectionneurs d’objets d’exception. Puiforcat nous a ouvert les portes de son atelier de Pantin, où il continue de conjuguer patrimoine et inventivité.

Photos : Saâd Tazi, Q. Bertoux et P. Burban

 

«Nos orfèvres savent que le coup de marteau ne doit pas être visible sur la pièce terminée.» Jean Puiforcat

 

Autrefois situé à Paris, au-dessus de la boutique historique, la manufacture Puiforcat rachetée par Hermès en 1993 a déménagé à Pantin, en banlieue parisienne, après un passage par la porte de la Chapelle. Ici, quinze artisans travaillent exclusivement l’argent massif de premier titre et le façonnent à l’ancienne pour réaliser des pièces d’orfèvrerie et des commandes spéciales. Le challenge est de maintenir les savoir-faire et de transmettre aux générations suivantes 
les secrets d’une parfaite qualité d’exécution. Trois jeunes apprentis sont en formation.
Le bruit n’est pas si assourdissant qu’on le prévoyait dans cet atelier surmonté d’une verrière. En revanche, nous sommes impressionnés par le nombre d’outils de toutes formes éparpillés sur les vieux établis ou minutieusement rangés sur les étagères. On se croirait dans un magasin de bricolage, à une nuance près, qu’ici, maillets, ciselets, limes, marteaux, mandrins, rifloirs, traçoirs, échoppes, burins sont passés de main en main et sont patinés par le temps. Riche d’un patrimoine de quelque 10 000 pièces de forme, plus de 100 modèles de couverts et de 5000 mandrins pour façonner le métal, Puiforcat est l’une des rares maisons françaises à préserver son patrimoine et à entretenir au sein de son atelier un artisanat virtuose qui met en oeuvre l’ensemble des savoir-faire de la haute orfèvrerie. La réalisation d’une pièce répond à un rituel immuable et constitue un vrai travail d’équipe. Planeur, tourneur repousseur, graveur, orfèvres, ciseleuses, aviveurs et polisseurs interviennent sur chaque pièce pour lui donner vie. Et quand on voit la plaque d’argent passée de main en main, on a du mal à imaginer qu’elle va finir par devenir parfaite. Et c’est là que l’expression «travail d’orfèvre» prend tout son sens.

Eric Popino, maître planeur.

Le planage
Eric Popino, maître planeur, est le chef d’atelier. Il travaille chez Puiforcat depuis une vingtaine d’années. Il a été chaudronnier, dinandier, puis orfèvre. Aujourd’hui c’est un des derniers planeurs de France. Il a été récemment décoré du titre de chevalier des Arts et Lettres. C’est à lui que revient la lourde charge de mettre en forme les plats et les plateaux en étirant le métal et en le martelant à l’aide de différents maillets. Le planage est une technique ancestrale et les outils qu’utilise Eric sont similaires à ceux du XVIIIème siècle. Il dispose de plus de 300 marteaux. C’est un métier très physique, surtout pour les grandes pièces. Sous la battue répétée des marteaux correcteurs (de différentes formes selon le selon le résultat qu’il souhaite obtenir), le planeur fait disparaître les déformations diverses et contribue ainsi à rendre la pièce de métal plus lisse. Pour les plateaux de douze kilos, il faut deux personnes.
Jérôme est orfèvre depuis 20 ans, mais il apprend la technique du planage avec Eric depuis deux ans. «Là, je suis en train de faire une restreinte qui est une descente au marteau. On part d’une feuille d’argent plate que l’on pose sur un moule en résine ou en acier et on rabote le métal par l’extérieur. On utilise des maillets en plastique, en buis puis en acier. Le son du marteau est très important. Quand on frappe sur l’argent, ça le raidit. On doit alors le recuire au chalumeau régulièrement pour l’assouplir. L’argent fond à près de 900 degrés. On le recuit à 780 degrés» explique-t-il.

Eric Popino, maître planeur.

Le repoussage
Pour les pièces de forme, on utilise un tour à repousser qui donne des allures concaves (creuses) ou convexes (rondes) à des pièces telles que les timbales, les brocs, les cafetières et théières. Sur un mandrin (pièce en bois déterminant une forme courbe et tournant horizontalement), l’artisan repousse une plaque d’argent à l’aide d’un outil dénommé «cuillère» pour profiler le corps de l’objet. Plusieurs passes sont souvent nécessaires pour qu’une pièce prenne le galbe souhaité, entrecoupées d’étapes de «recuits». Ici, le tourneur, c’est Michaël. Son père qui travaillait chez Puiforcat, lui a transmis son savoir-faire, son tour et sa collection d’outils et de mandrins. «C’est l’artisan qui créé les formes de ses outils en fonction de la pièce qu’il doit travailler» explique Michael.

Jérôme, orfèvre

Arnault, orfèvre

Le travail d’orfèvre
Une fois que la pièce a été mise en forme, elle passe entre les mains de l’orfèvre. Le «travail d’orfèvre» consiste à effectuer l’habillage d’une pièce. Est orfèvre celui qui «monte» et termine l’objet en y ajoutant, au moyen de la technique d’assemblage de la brasure notamment, appliques, moulures, graines, becs, charnières ou patins. Damien, apprenti depuis deux ans, travaille sur les ajustements des éléments d’une théière Art déco. Arnaud, orfèvre depuis plus de trente ans a pris en charge une soupière (qui demandera en tout 600 heures de travail).

Dominique, graveur

La gravure
Ensuite, la pièce passe à la gravure. A l’aide d’une échoppe ou d’un burin et par une infime entaille dans le métal qui en soustrait de minces copeaux, la gravure reproduit en de fines hachures, courbes ou pointillés, un dessin, un chiffre ou des armoiries. C’est Dominique qui se charge de faire les gravures à la main à l’aide de burins, d’échoppes, d’onglettes…

Nathalie et Astrid, ciseleuses

La ciselure
Ensuite la pièce passe entre les mains des ciseleuses, qui chez Puiforcat, sont deux femmes, Nathalie et Astrid qui a eu le coup de foudre pour le métier en visitant l’atelier de l’Ecole Boulle où elle faisait ses études. C’est à elles que revient la tache de décorer sans ôter de matière (contrairement à la ciselure) en emboutissant le métal à l’aide de petits outils d’acier appelés «ciselets».

L’avivage et le polissage
Une fois mise en forme et décorée, la pièce passe par deux dernières étapes, l’avivage et le polissage qui consistent à supprimer les reliefs et les irrégularités microscopiques du métal et à donner cette finition «poli miroir» qui leur confère un éclat exceptionnel.
Au poste de polissage, Emile utilise différentes brosses en paille de riz et en coton pour enlever tous les petits défauts et affiner le grain de la matière.
Pour le polissage, c’est Paul qui est à la manoeuvre.
Ensuite, le chef d’atelier pose le poinçon «tête de Minerve» qui prouve que la pièce est en argent massif. Sur chaque pièce est également gravé un losange ou un ovale contenant les initiales E et P pour Emile Puiforcat, fondateur de la maison en 1820.
La production de couverts en argent massif est la plus grosse activité de l’’atelier. Chaque année, 25 000 couverts et deux tonnes d’argent sont transformés. Les couverts subissent une étape particulière baptisée le réagréage. A l’aide d’un rifloir et d’une lime, Robert adoucie les marques de fabrication et révèle les lignes du décor.

Michaël, tourneur

Des archives inspirantes
Les pièces classiques sont des reproduction des XVIIème et XVIIIème siècles. La plupart sont issues de la collection de Louis Victor Puiforcat qui a transformé la coutellerie en orfèvrerie. Certaines de ses pièces ont été léguées au Louvre, mais beaucoup de ses modèles sont conservés dans les archives de Puiforcat situées à l’étage de l’atelier et gérées par Jean-Michel, le dessinateur de la maison. Ici, on entre dans un lieu chargé d’histoire où sont conservés des dessins originaux qui constituent la première source d’inspiration des designers de Puiforcat. «Les pièces de la collection étaient aussi dessinées, ce qui permet de les reproduire plus facilement explique Jean-Michel. On a également beaucoup de photographies qui nous aident à mieux comprendre la complexité ou la subtilité des dessins».
Jean Puiforcat (1897 – 1945), membre de la quatrième génération de la famille Puiforcat devenu maître orfèvre en 1920, révolutionna la production de l’atelier jusque-là cantonnée aux pastiches de pièces du XVIIIème siècle. Caractérisé par des lignes architecturées, épurées, une simplicité signifiante et le mariage de l’argent massif à d’autres matériaux précieux comme les bois exotiques, les pierre dures et le galuchat, son style dépouillé, inspiré par l’Art déco, est fondateur de la haute orfèvrerie contemporaine. Régulièrement réédité à partir des archives conservées à Pantin, le travail de Jean Puiforcat continue à insuffler un esprit que l’on retrouve dans les collections contemporaines de la maison. Puiforcat s’emploie ainsi à rééditer les plus belles pièces de son patrimoine tout en imaginant les classiques de demain avec le concours de designers. Le couvert en acier massif Zermatt, dessiné par Patrick Jouin et lancé en 2010, a ainsi déjà intégré les collections permanentes du musée du Centre George Pompidou de Paris ainsi que celles du Museum of Arts and Design de New York. Et au delà de l’art de la table, Puiforcat entend poursuivre le déploiement de son expertise presque bi-centenaire au service d’un «art de vivre orfèvre» complet notamment autour de l’art du goût et de la décoration. La timbale à champagne, outil de dégustation unique, créée en 1999, ou la ligne de couteaux de cuisine, développée en 2011, avec Pierre Gagnaire, illustrent cette démarche. Tout comme la collection «Magnifica Puiforcat», une ligne d’objets de décoration monumentaux créée par les maîtres orfèvres madrilènes Paloma et Juan Garrido.

Les outils du ciseleur : ciselets, rifloirs, traçoirs…