En marge de ses distinctions à l’«Architizer A+Awards» et à l’«Arab Architects Awards», nous avons voulu en savoir un peu plus sur Tarik Zoubdi, cet architecte qui, depuis 2006, aiguise son expertise jusqu’à s’imposer face à des poids lourds du milieu. Fruit de sa collaboration avec Mounir Benchekroun «La Muraille du Savoir», Institut de Promotion Socio-éducative édifié à El Jadida, s’est vu décerner le prix du jury et le prix du public du prestigieux concours new-yorkais et le prix du meilleur bâtiment culturel du monde arabe, à Beyrouth.
Qu’est-ce qui vous a amené à l’architecture?
J’ai toujours adoré dessiner. Déjà à l’école primaire, j’étais très fier de voir que mes dessins servaient à illustrer les expressions orales de la classe. À la fin du collège, mon professeur d’art m’a proposé d’entreprendre un bac spécialisé en arts plastiques à Rabat. Mes parents qui, de tout temps ont été très attentifs à mon parcours scolaire, ont toutefois estimé que j’étais encore trop jeune pour quitter le foyer familial. J’ai donc attendu d’obtenir mon bac pour intégrer l’Ecole Nationale d’Architecture. Même si, à l’époque, c’était encore difficile de nous figurer ce qu’être architecte voulait dire, je nous vois encore, mes camarades et moi, dévorer, à la bibliothèque, les revues d’architecture durant des heures. Ce sont véritablement nos professeurs qui nous ont transmis l’amour de ce beau métier.
Comment a débuté votre carrière?
En 2006, mon diplôme d’architecte en poche, j’ai débuté en intégrant le cabinet Abdelouahed Mountassir où j’ai pu participer à l’élaboration de plusieurs grands projets urbains tels que Technopolis, Casa Marina, etc. J’ai enchainé avec d’autres concours et projets d’envergure comme la Tour Hyatt Regency Casablanca et la RAM Academy en rejoignant l’équipe de Patrick Collier. J’ai ensuite refait un passage de quelques mois sur les bancs de l’Ecole Supérieure des Arts Visuels de Marrakech pour une formation en cinéma. Enfin, tout en continuant à collaborer avec de prestigieuses agences (Groupe3 architectes, Omar Alaoui…), j’ai décidé en janvier 2008 de créer l’atelier Tarik Zoubdi Architecte. Assez vite, j’ai gagné la confiance de nombreux maîtres d’ouvrages publics et privés. Je me suis aussi rapidement lancé dans de nombreux concours. Quelques uns, à l’image de l’Archizer A+Awards, ont porté leurs fruits.
Justement pouvez-vous revenir sur cette expérience et sur votre collaboration avec Mounir Benchekroun?
Au-delà de la complémentarité que nous avons pu construire sur le plan professionnel, Mounir et moi sommes devenus comme des frères. Notre collaboration a débuté il y a plus de 10 ans au travers d’un projet de logements qu’un client nous avait confié. De là, nous est venu l’envie de continuer à travailler ensemble régulièrement tout en conservant la liberté de vivre individuellement d’autres aventures professionnelles. A mon sens, c’est aussi ce bel esprit d’équipe qui a été reconnu par les prix de l’«Architizer A+Awards 2018», ou de l’«Arab Architects Awards» de Beyrouth où nous avons été nominés.
Quels retentissements peuvent avoir ce type de prix sur votre travail?
Etant quand même victorieux face à des structures internationales de très grandes ampleurs, je vois en cette distinction tant la reconnaissance de nos efforts que l’assurance que nous sommes sur la bonne voie. Cela nous donne l’envie de nous surpasser encore plus. Je pense aussi que ces prix nous ont permis de donner plus de visibilité à notre travail par le biais de médias nationaux et internationaux et peut-être bien d’éveiller l’intérêt de clients potentiels.
Comment définissez-vous votre vision de l’architecture?
Pour moi, l’architecture est la traduction spatiale poétique des aspirations humaines à une vie meilleure. Je milite pour qu’elle puisse revendiquer son appartenance à un lieu, comme si elle en avait toujours fait partie. J’estime en outre que nous devons impérativement résister à la tentation collective de la mode en recherchant l’intemporalité et en refusant le mimétisme folklorique. Dans mes conceptions, j’aime laisser la place au hasard, à la beauté accidentelle et à l’imprévu. J’aime aussi les formes géométriques simples réunies en quelque chose de plus riche. Avec des amis, nous avons l’habitude d’appeler cette simplicité complexe, la «simplixité». Dans mon travail, je m’inspire de l’œuvre de nombreux prédécesseurs mais j’en reviens toujours à mes premiers amours qui sont Louis Kahn, Oscar Niemeyer, Luis Barragan, ou plus récemment Peter Zumthor, Rafael Moneo et Mario Botta.
Par quoi sont guidés vos choix de projets?
Même si j’ai beaucoup travaillé sur des projets résidentiels et d’éducation, je ne souhaite pas m’y cantonner. Au contraire, je voudrais diversifier le plus possible ma liste de réalisations.
Quelque soit le projet, avant de dessiner le moindre trait, je tente de comprendre les objectifs du maître d’ouvrage et les besoins des futurs usagers. Ensuite, je m’attèle à la compréhension du contexte dans lequel s’inscrit le projet en me rendant sur place. Très souvent, c’est vraiment à ce moment-là que les idées arrivent et que plusieurs scénarios se dessinent dans mon esprit. Je pense que pour que mes collaborations aboutissent véritablement, elles doivent avoir un lien fort avec ma réflexion architecturale. En effet, bien qu’il soit possible de défendre ses idées tout en faisant preuve de pédagogie, c’est important d’avoir une certaine compatibilité avec ses clients.
Pouvez-vous préciser quelques unes de leurs spécificités?
Je suis toujours à la recherche d’une certaine vérité dans la matérialité de mes projets. Je déteste l’architecture marquée de faux-semblant (faux bois, fausse pierre, faux marbre…). Je demeure convaincu qu’il est nécessaire de favoriser les matériaux les plus résistants pour échapper à l’obsolescence programmée de bâtiments. Je suis également favorable à l’usage de solutions bioclimatiques qui permettent aux bâtiments de fonctionner sans recours aux machines. Je m’inspire pour cela de la théorie de Bjarke Ingels, célèbre architecte danois, tout en ne manquant pas de puiser dans l’inestimable héritage de nos ancêtres. A savoir, l’usage des patios et fontaines, des tours à vent, des moucharabiehs comme brise-soleil, des murs épais, etc.
Quel regard portez-vous sur l’architecture au Maroc?
Aujourd’hui, le Maroc dispose d’une jeune génération d’architectes très talentueux qui tend d’ailleurs à faire entendre sa voix à travers le monde. Tous ne demandent que l’occasion de démontrer leurs savoir-faire et de participer à la construction de notre pays. Toutefois, nous sommes encore, selon moi, confrontés à de nombreux obstacles pour que notre métier éclose véritablement. Citons en première ligne, une réelle carence en culture artistique et une bureaucratie qui représente un frein à la démarche créative. Le mépris pour la prestation intellectuelle demeure également effrayant, la clientèle préférant souvent succomber aux prix attractifs de confrères prêts à brader leurs services! Enfin, ce que je regrette encore plus, c’est l’absence, au niveau national d’un prix d’architecture, signe à mon sens d’un manque de reconnaissance et de valorisation de notre métier.
Quels sont vos prochains projets?
J’ai deux projets importants en ce moment. Le premier est un ensemble résidentiel de 242 logements à Casablanca. Le second, n’est autre que la deuxième tranche de l’Institut de Promotion Socio-éducative d’El Jadida primé aux «A+Awards» et «Arab Architects Awards».
Avez-vous un rêve architectural que vous souhaiterez réaliser ici ou ailleurs?
Il y a quelques mois, j’ai eu comme une vision à la vue de photos d’une carrière de marbre. À l’image de Pétra, j’ai vu un village vertical creusé le long d’une falaise faisant face à un sublime coucher de soleil. Depuis, je suis comme obsédé par cette image…
«La Muraille du Savoir» : un projet remarqué!
«Bien que les organisateurs du prix ne nous ont pas communiqué leurs critères de jugement, je suppose que notre attention particulière au contexte et le soin apporté au détail leur ont plu. Plus précisément, je pense que ce qui nous a permis de nous distinguer est notre rapport au patrimoine architectural de la ville d’El Jadida, le caractère symbolique des lieux et, très certainement, le fait d’avoir utilisé l’architecture comme outil pédagogique.»
Tarik Zoubdi Architect
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