Selma Laraqui est une talentueuse architecte d’intérieur, diplômée de Camondo. Après un passage chez le célèbre architecte algérien Imaad Rahmouni, elle a créé son agence, intervenant dans des domaines aussi variés que l’architecture d’intérieur, le design de produit ou de mobilier, le graphisme, la signalétique… Nous l’avons rencontrée à Tigmiza, l’hôtel familial qu’elle a entièrement aménagé et décoré en plein coeur de la palmeraie de Marrakech. Elle nous dit tout sur son métier et ses projets.
Par Valérie TAZI
Comment êtes-vous devenue architecte d’intérieur et pourquoi ce choix de carrière ?
J’ai passé mon bac en 2000 ; à cette époque le métier d’architecte d’intérieur n’avait pas encore « le vent en poupe » comme aujourd’hui, je ne savais même pas qu’il existait. Après l’obtention d’un diplôme de gestion, il s’est imposé à moi que je ne m’épanouirais pas dans ce domaine. C’est là que j’ai découvert l’architecture intérieure.
Après une année préparatoire à Penninghen, j’ai intégré l’école Camondo, à Paris, et j’en suis sortie enthousiaste et diplômée avec les félicitations du jury, cinq ans plus tard.
Pourquoi votre agence s’appelle-t-elle Aqsel ?
L’agence s’appelle en réalité Aqsel Malarui, qui n’est autre que l’anagramme de Selma Laraqui ; le moyen d’une certaine manière, de me positionner ni tout à fait sous les projecteurs, ni complètement dans l’ombre. C’est une façon de dire que j’existe dans l’histoire de chacun de mes projets sans pour autant en être l’acteur principal ou exclusif. Aqsel n’est qu’un diminutif, pour faciliter la mémorisation du nom.
Pourquoi avez-vous décidé de vous installer à Marrakech ?
En réalité je voulais entamer ma carrière à Paris, mais des évènements familiaux m’ont contrainte à rentrer. Ma famille étant installée à Marrakech, je suis naturellement venue m’y établir. J’ai ensuite été recrutée chez l’architecte Imaad Rahmouni ; je n’avais plus aucune raison d’aller ailleurs.
Quels sont vos domaines d’intervention ?
Je suis avant tout architecte d’intérieur, c’est ce que j’aime faire ! Intervenir sur un bâti existant, analyser ses contraintes, repenser ses volumes, redessiner ses contours, rediriger sa lumière, aborder les problématiques d’ambiance ou d’esprit du lieu, résoudre des détails techniques… mener le travail de l’architecte à son terme, voilà ce qui me motive !
Toutefois, ma formation me permet d’aborder avec des facilités certaines d’autres domaines. Le métier d’architecte d’intérieur, situé en amont de la prestation du décorateur ou de celle du designer, couvre des domaines très variés : design de produit ou de mobilier, graphisme, signalétique, couleur… En d’autres termes, toutes ces activités fédérées par leur relation à l’espace.
L’agence Aqsel est ainsi tout à fait en mesure d’appréhender un projet dans sa globalité, en travaillant à différentes échelles.
Comment définissez-vous votre style ?
Pour être tout à fait honnête, je n’aime pas parler de style, et je ne sais pas définir le mien.
Les espaces que je crée sont tous très différents, ils sont avant tout fonction du client, des moyens, du site, du moment… La constante que l’on retrouve dans mes projets c’est qu’ils racontent forcément une histoire, qu’ils sont le fruit d’un scénario établi en premier lieu, ce qui permet de fabriquer des espaces cohérents. En fait, j’envisage chaque lieu comme une scène qui mêle exigences matérielles et imaginaires. Mais lorsqu’on me donne carte blanche, je sais que j’aime concevoir des espaces hétéroclites, abondants et poétiques, tout en plaçant l’aspect fonctionnel au premier plan et l’acteur au cœur de chaque histoire.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Tout m’inspire, ou plutôt un rien m’inspire. Une conversation, une image, une texture, un voyage… Il faut juste réussir à déplacer les choses de leur contexte, les réinterpréter et les reformuler en termes architecturaux.
Qui sont vos maîtres ?
Je suis très admirative du travail de Philippe Starck dont « l’humour architectural » et la justesse des mélanges m’enchantent. J’aime la douceur et la simplicité apparente du travail de l’agence japonaise Sanaa. J’apprécie l’imaginaire et l’expressivité du travail de Jean-Paul Goude, la créativité de Jaime Hayon ou de Marcel Wanders, la poésie d’Ingo Maurer, le culot de l’artiste italien Maurizio Cattelan… Et beaucoup d’autres architectes, graphistes, photographes, scénographes, metteurs en scène, illustrateurs, designers plus ou moins connus, plus ou moins renommés : la liste est interminable.
Avez-vous des matériaux de prédilection ? Et des couleurs ?
J’ai une passion certaine pour le bois qui est un matériau capricieux, mais résolument vivant ! Nous avons au Maroc de très bons ébénistes, ciseleurs, menuisiers, zouakkas qui participent à sublimer ce matériau. J’aime aussi travailler le plâtre qui en plus d’offrir d’infinies possibilités de mise en œuvre, a des propriétés de résistance, d’isolation et de recyclabilité non négligeables à l’heure des débats sur les économies d’énergie et l’écologie.
La couleur ? J’aime la couleur c’est certain, avec un penchant pour les teintes diluées et les tons dits froids, qui s’ils sont judicieusement associés à certaines matières, peuvent s’avérer très chaleureux.
De quel projet êtes-vous la plus fière ?
Joker ! Je suis une incorrigible insatisfaite qui estime, à juste titre, je pense, qu’un projet est une aventure toujours inachevée, qu’il manque toujours quelque chose ou que « tel détail on aurait aussi pu l’envisager comme ci ou comme ça… ». Il est par ailleurs relativement délicat de prendre du recul sur soi-même et sur son travail.
Quels sont vos liens avec Kim & Garo ?
Kim et Garo sont mes partenaires, nous sommes 2 entités complémentaires : je dessine, ils produisent. Ils ont élargi leur activité initiale de broderie traditionnelle et linge de maison à la production de mobilier et luminaires. Nous avons d’ailleurs décidé ensemble de travailler sur une collection de mobilier que nous commercialiserions à la rentrée prochaine.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Essentiellement sur des villas privées et appartements à Casablanca et Marrakech. Le projet de l’hôtel 5* Tigmiza, dans la palmeraie de Marrakech, se poursuit avec la conception d’une suite royale de 400 m² et les aménagements de 14 suites privées.
Si vous n’aviez aucune contrainte, qu’aimeriez-vous réaliser ?
Tous les projets m’enrichissent ; de chacun j’apprends un peu plus.
Les espaces privés, les lieux de vie du quotidien ne doivent pas lasser et sont presque toujours empreints d’une certaine neutralité ou juste d’une fantaisie légère, ils doivent avant tout être fonctionnels et optimisés. Si je pouvais choisir, j’aimerais travailler exclusivement sur des lieux publics : bureaux, restaurants, hôtels, ou encore des scénographies pour des défilés, des expositions, des installations éphémères. Les espaces qui s’inscrivent en dehors de la sphère privée permettent de laisser libre court à l’imagination et ne freinent pas la créativité dans la mesure où les gens viennent y chercher un dépaysement, un voyage.
Qu’est-ce qui vous fait avancer dans la vie ?
Sans hésitation, je dirais ma famille. Mes enfants sont mon moteur, bien au-delà de mon ambition ou de mon épanouissement personnel. Ma famille est indissociable de mon travail. Mon père est bâtisseur, ma mère artiste, mon frère graphiste, mon mari et mon beau-frère travaillent dans le domaine de l’ameublement, ma sœur, hôtelière est toujours de bon conseil quand il s’agit de concevoir des restaurants, des cuisines ou des espaces de réception. J’ai monté mon agence, seule, il y a 3 ans, mais nous travaillons souvent de concert et c’est de cette fusion que je tire mon énergie, mon envie de faire toujours plus ou plutôt mieux, et d’essayer de repousser mes lim ites, de me surprendre moi-même.