Avec «The line», Samy Snoussi rêve de voir l’art entrer de plain-pied dans l’espace public marocain. Du côté du Boulevard Rachidi, de la Corniche et très prochainement dans le quartier de Sidi Bernoussi, tout en se déployant sur les façades, sa ligne interpelle les passants. Simple trait pour les uns, liens forts et indivisibles pour les autres, «The line» se laisse observer et interpréter à loisir. Et si «The line» s’apprécie dans la rue, le labyrinthe de lignes très contemporain et joyeux de Samy Snoussi s’apprécie aussi chez soi. Organisée au sein de l’agence Cactus, en décembre dernier, son exposition «Trace(s)» a d’ailleurs été couronnée de succès.
Par : Mélanie Wilms
Pouvez-vous revenir en quelques mots sur votre parcours?
Je dirais que la création fait partie intégrante de ma vie depuis ma plus tendre enfance. J’ai reçu une éducation qui m’a poussé à être proche de la nature et des autres, et qui m’a permis d’aiguiser ma curiosité culturelle et artistique. J’ai fait du piano, du dessin, des pièces de théâtre. Très tôt, j’ai été un touche-à-tout toujours avide de découvertes. A l’adolescence, j’avais d’ailleurs envie de faire les beaux arts. Finalement, je suis parti à Montréal pour étudier l’urbanisme et le paysagisme. J’ai fait un master en design urbain durant lequel je me suis particulièrement passionné pour l’aménagement urbain et l’art dans les espaces publics (aménagement de façades, sculptures, etc.) Mes études m’ont vraiment permis d’affiner ma perception de l’espace public et privé et de mieux comprendre leurs relations avec l’usager. Par la suite, je suis parti à Dubaï pour lancer un concept multidisciplinaire d’aménagement intérieur et extérieur. Après un bref passage par le Maroc où j’ai eu l’occasion de travailler dans une grande agence d’aménagement intérieur, je suis parti à Paris où j’ai fais un virage à 180°. Pendant un an, j’ai travaillé dans le domaine commercial. Je suis assez satisfait de cette expérience car elle m’a permis de roder mon discours et de savoir vendre un produit. Aujourd’hui, j’ai la chance d’être plongé dans l’univers créatif à 200% et ce n’est qu’un début…
Quels sont les traceurs de votre expression artistique?
J’ai un vrai intérêt pour l’Autre et pour la diversité. Dès ma première murale, à 13 ans, l’identité était également au cœur de ma démarche. J’avais dessiné une famille sans visage afin que chacun puisse se projeter. Dans mon travail, j’ai toujours été soucieux d’associer une composante solidaire à mon expression. J’ai été très marqué par un projet de photographie que j’avais réalisé avec les victimes de l’ouragan Katrina. Mon côté touche-à-tout impacte également mon travail dans le sens où j’essaie toujours de sortir des sentiers battus, d’innover et de laisser parler mes inspirations.
Du coup, j’ai eu l’occasion de faire de la photographie, de la scénographie, de dessiner des logos, de conceptualiser de la vaisselle, etc.
Quelles sont vos sources d’inspiration?
De grands artistes modernes comme Picasso, Basquiat ou Dubuffet ainsi que des artistes plus contemporaines qui s’expriment notamment sur les réseaux. Bien sûr, je suis inspiré par Mr. Doodle qui dessine compulsivement sur les murs, les sols et même les salles de bain. Les dynamiques sociales m’interpellent aussi beaucoup. Elles font partie intégrante de ma réflexion créative. Je m’inspire aussi énormément de l’environnement dans lequel je produis mes œuvres. Dans mes toiles, la nature se matérialise principalement dans les couleurs que je choisis mais surtout elle me fait vibrer et me pousse à créer. Je profite d’ailleurs des réseaux pour partager avec mes followers les endroits où je crée.
En quelque sorte, je tente de promouvoir nos régions et nos paysages naturels qui sont extraordinaires. Je pense que mon goût des choses simples et l’authenticité de mes rapports avec mon environnement et les autres se ressentent beaucoup dans mes partages et que cela a contribué au fait que les gens ont commencés à me suivre et à plébisciter mes œuvres.
Pouvez-vous nous présenter «The Line» en quelques mots?
On peut dire que j’ai revisité le concept du «one line». Cette ligne unique très souvent sur fond blanc est aujourd’hui assez connue grâce à Mr. Doodle, mais elle a été expérimentée avant lui par différents artistes modernes comme Picasso. Très jeunes, je gribouillais compulsivement sur mes cahiers et différents supports. En mars de cette année, je suis vraiment retombé dedans en préparant avec ma petite sœur un devoir d’expression artistique consacré au « one line ».
Ensuite, je me suis lancé dans la réalisation d’une grande murale dans sa salle de jeux. Je l’ai partagée sur les réseaux et là, un réel engouement s’est créé. Sans trop comprendre, j’ai reçu mes premières commandes et j’ai commencé à faire de plus en plus de toiles.
Vos créations sont-elles porteuses d’un message?
C’est un message à la fois de diversité et d’université, en fait d’unité dans la diversité. Cette unité est suggérée dans mes toiles par « the line », ce fil d’Ariane invisible qui nous connecte tous. Certaines personnes y voient des visages, d’autres y voient également des mains qui s’entraident. Sur certaines toiles, on peut également apercevoir une couronne, ce qui évoque évidemment la notion statut social et qui est un petit clin d’œil à Basquiat et à mon surnom durant mon enfance, « le petit prince ». Pour moi, nous sommes tous des rois et des reines, et nous sommes tous connectés. C’est quelque chose qui est vraiment important et qui relève une nouvelle fois de mon éducation. Je tiens à ne pas avoir de filtre social car nous sommes tous égaux quelque soit notre statut, notre origine ou notre religion. Je pense qu’il est important de se rappeler que nous avons tous à apprendre les uns des autres et qu’il vaut mieux faire de nos différentes une richesse et un apprentissage que de les laisser devenir une source de conflits. Dans cette optique, j’ai d’ailleurs pris le parti de rendre mon travail le plus accessible possible tant financièrement que visuellement parlant.
Quelles sont vos aspirations?
J’ai énormément d’idées. Je voudrais décliner « The Line » de différentes manières, notamment en développant du mobilier. Pour moi, 2020 était une année formidable et je vais tout faire pour que 2021 soit également pleine de surprises. Aujourd’hui, je suis très heureux de la reconnaissance que m’a apporté les réseaux et ce que je voudrais surtout c’est de continuer à inspirer d’autres jeunes artistes marocains. J’ai vraiment envie de partager que nous avons tous les cartes en main pour réaliser nos envies profondes. Dans le futur, je rêve de pouvoir continuer à peindre les murs de tous les quartiers, y compris ceux où on ne s’attend pas à trouver de l’art, et créer de nombreuses sculptures pour embellir le paysage urbain marocain.
Si vous n’aviez aucune contrainte, qu’est ce que vous souhaiteriez créer?
J’ai cette envie de réaliser des résidences d’artistes un peu partout dans le Maroc, et aussi cette ambition de tout peindre. J’imagine ma ligne sur des avions, sur des façades de magasin, sur le tramway, dans des restaurants, dans des centres culturels et espérons que cela continue.