Et c’est cette architecture moderne, épurée et rationnelle qui fait le succès d’Omar Kobbité, fondateur de OKA. A 45 ans, il a déjà été primé sur de nombreux concours nationaux, le dernier en date étant le pôle muséal et culturel de Dakhla. Mais c’est surtout la tour Maroc Telecom qui l’a fait connaître. Passionné et utopiste parfois, il nous dit tout sur son style, ses projets, ses rapports avec les maîtres d’ouvrage et les agences étrangères.
Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de devenir architecte ?
La curiosité. Un questionnement qui renvoyait toujours vers une civilisation. Après mon bac, j’avais envie de faire deux ou trois choses. J’ai été admis en architecture. Je suis né et j’ai grandi à Fès. Je me suis beaucoup promené dans les ruelles de la médina. Son mystère m’a incité à me poser plein de questions. L’architecture répondait à ses interrogations. Elle donne envie de créer, de se positionner dans le passé, le présent et le futur.
Qu’avez-vous fait une fois diplômé de l’Ecole d’architecture de Toulouse ?
Je me suis mis à mon compte en 1999, avec ma femme, Sandrine Pastre, Toulousaine et architecte. Je considère que si l’on veut s’exprimer, il faut se lancer. J’ai collaboré avec des cabinets sur de petits projets et dans le même temps, j’ai participé à des concours au Maroc. En décembre 2002, j’ai gagné le concours pour le siège du Centre National pour la Recherche Scientifique et Technique à Rabat. J’ai travaillé jour et nuit sur ce projet de 16 000 m2 et du coup, je me suis réinstallé au Maroc. J’ai continué les concours. Aujourd’hui, 95% de nos commandes proviennent des concours. J’aimerais bien qu’on ouvre davantage les concours aux jeunes architectes qui n’ont pas de références.
N’est-ce pas ce qu’a fait l’Agence du Sud pour le musée de Dakhla ?
Oui, tout à fait, elle a ouvert la porte. Elle a très bien organisé ce concours avec un excellent programme. J’aimerais bien que les autres maîtres d’ouvrage suivent l’exemple de l’Agence du Sud. Tout le monde serait gagnant.
Et après ce premier concours remporté ?
La profession a commencé à entendre parler de moi. J’ai continué à répondre à des concours. Pour un hôpital, le ministère de la Santé a demandé une association avec un cabinet international. J’ai fait candidature commune avec Jean-Paul Viguier, un architecte toulousain. On n’a pas gagné ce projet, mais ensemble, nous avons remporté le concours restreint pour la tour Maroc Telecom à Rabat.
Quels sont vos rapports avec les agences étrangères ?
J’ai gagné le Musée de Rabat avec Archi 5. Et quand Erik Giudice a quitté l’agence, on a continué à travailler ensemble et on a créé une cellule à Paris pour répondre aux concours avec mon épouse, pilier de l’agence et Federico Mannella. J’ai commencé à gagner des concours jeune, ce qui m’a donné un capital confiance incroyable. Mais, avec le projet Maroc Télécom, j’ai été confronté à une réalité : quand on travaille avec un gros cabinet, les projecteurs sont toujours braqués sur ce gros cabinet. J’ai essayé de combattre le fameux complexe du colonisé, en travaillant dans le respect et dans un partenariat positif. J’ai envie que mon fils puisse exporter son savoir-faire en tant que Marocain et ça commence maintenant. Il faut se battre pour ça. Après Maroc Telecom, j’ai été contacté par de gros cabinets, mais j’ai refusé car c’est difficile de trouver sa place dans ce genre de structure. Je préfère travailler avec de petites agences où il y a un partage, des échanges.
Comment définissez-vous votre style ?
Résolument moderne. Je m’inscris pleinement dans la modernité sans oublier notre patrimoine architectural. J’aime traduire ce qui s’est fait avant de façon moderne. J’essaye de faire une architecture utile et de plus en plus performante. J’ai également le souci de bien répondre aux besoins du client. Mon architecture respecte l’environnement, elle est contextuelle. Les formes sont très pures et très fonctionnelles.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Parfois c’est la matière, la façon plus ou moins innovante de la mettre en oeuvre. Cela peut être un mode de vie comme la tente pour le musée de Dakhla. J’ai essayé de traduire ce schéma de manière contemporaine à travers des voiles inclinées en béton. Le vide comme le plein sont aussi des sources d’inspiration. Le rapport entre le végétal et le minéral, la lumière. J’essaie d’intégrer tous ces éléments dans mes projets. Mais rien n’est fait par hasard. A chaque fois, il faut que cela soit utile et beau.
Quels sont vos matériaux préférés ?
Le béton, le métal, le verre. La brique aussi. Pour le CNRST, j’ai fait des brises-soleil en terre cuite, une façon contemporaine de travailler la brique. Le premier qui a fait un usage contemporain de matériaux traditionnels, c’est Renzo Piano.
Qui sont vos maîtres en architecture ?
Renzo Piano justement, Tado Ando et plein d’autres.
Vous venez de remporter avec Erik Giudice Architecture le concours pour la construction du pôle muséal et culturel de Dakhla. Parlez-nous de ce projet que vous avez baptisé « La grande escale ».
Avec ma femme, nous travaillons depuis longtemps à Dakhla. On connaît très bien la région. Je suis fasciné par les régions du Sud et ses populations. Notre projet a une identité très forte qui prend ses racines dans l’histoire et le patrimoine de cette région. C’est une réponse pertinente au programme avec une flexibilité des espaces qui permet de créer des scénographies facilement.
En quoi ce projet est-il différent du musée national d’archéologie et des sciences de la terre de Rabat ?
Le contexte n’est pas le même. A Rabat, le musée sera construit dans la résidence Liautey. Il fallait respecter le lieu. On voulait quelque chose qui sorte de la terre. Il est fait sous forme d’arches. Le concept vient de la thématique du musée. Les arches que l’on peut déplacer permettent la souplesse et la modulation des espaces. L’ensemble ressemble au squelette d’un dinosaure. Le parc a une place primordiale et pénètre dans le musée avec la création de patios qui rappellent notre architecture.
Vous êtes aussi l’auteur de la future gare TGV de Kénitra. Quels sont les enjeux de ce projet ?
Une gare, c’est un lieu de passage avant tout. Il faut maîtriser la notion de flux. Le chemin de fer est une rupture entre le nord et le sud de la ville. Cette gare est un pont entre ces deux parties. Quand elle sera construite, cela deviendra un lieu symbolique qui fait le pont entre les deux parties de la ville, un pont qui permet de la traverser et de faire vivre les commerces de la gare. Elle permettra aussi de mettre en valeur le quartier avec son parvis. La gare vient requalifier le contexte urbain dans lequel elle est implantée. On a aussi travaillé les arches, façon contemporaine de travailler la porte, et le moucharabieh qui donne une identité très forte au lieu. On a utilisé une forme géométrique très simple que l’on trouve dans l’artisanat marocain.
Vous travaillez aussi dans le résidentiel. A Taghazout, vous faites des maisons individuelles qui s’intègrent dans le paysage. Quel est votre rapport à la nature ?
C’est un projet à l’architecture moderne avec un lien étroit entre la fonctionnalité et l’esthétique. Là aussi, pas de geste superflu ou gratuit. Ce qui nous a guidés, c’est la vue sur le golf. Le terrain est en pente. L’enjeu était de travailler des bâtiments R+2 sans donner l’impression que ce sont des immeubles urbains. On a créé de petites unités que l’on peut relier. 90% des logements ont une vue sur mer.
Vous vous êtes également lancé dans la conception de logements pour la classe moyenne.
Oui, avec le maître d’ouvrage Al Omrane. L’idée de ce projet est d’offrir le plus possible d’espaces extérieurs de qualité. On a aussi beaucoup joué sur la haute qualité environnementale en concevant des bâtiments basse consommation avec une isolation thermique et phonique. Il faut que les organismes publics montrent l’exemple dans ce domaine.
Est-ce que la tour Maroc Telecom représente un tournant dans votre carrière ?
Assurément, ce fut un chantier très important pour moi à tous les points de vue. C’est un projet très spécial. Il y avait d’abord la volonté du maître d’ouvrage, Maroc Telecom, de moderniser l’acte de bâtir au Maroc, de gérer le chantier de façon moderne, en temps réel. Il y avait un contrôle permanent. C’était un chantier propre et moderne, avec une mission sécurité et hygiène attribuée à un bureau de contrôle. C’était un projet très complexe de par sa géométrie et sa façade intelligente, respirante, avec une double peau qui permet de rafraîchir le bâtiment. C’était aussi un projet extraordinaire dans sa gestion, avec des échanges de savoir-faire, un partage de compétences, parfois même un transfert.
Dans l’absolu, qu’est-ce que vous aimeriez construire ?
Un logement décent pour tout le monde. J’aimerais trouver quelque chose de révolutionnaire pour que chacun ait un toit. Je sais que c’est très utopique. Ensuite, j’aimerais créer l’espace public qui va avec. Il ne faut plus être fâché avec nos espaces publics, retrouver le plaisir de marcher…