La maison de couture Le Monde de Nün a fait sensation à la Fashion Week de Milan. Tourbillonnantes de fraîcheur et définitivement ancrées dans la mode contemporaine, les créations de Nadia Ksiyer portent également une émotion particulière pour tous ceux et celles qui sont attachés à l’histoire des savoir-faire marocains. Cela nous donne une furieuse envie d’en savoir plus.
C’est dans un charmant show-room, attenant à son atelier, que Nadia Ksiyer accueille ses clientes, un cocon de douceur aux tons pastels où ses créations font bon ménage avec les livres. La styliste le revendique : l’histoire du Maroc, celle de ses savoir-faire, de ses traditions et de ses héroïnes est au cœur de son propos. Elle est une base incroyablement riche d’où s’envole son imagination en partance vers des contrées encore inexplorées, celles du monde de Nün ?
Quelle est la signification de Nün ?
La lettre «noun» a une signification symbolique très forte pour moi. C’est d’abord la première lettre de mon prénom. En araméen, elle signifie «poisson», mon signe astrologique.
Nün est un langage à travers lequel j’exprime mon héritage, mon appartenance et mes passions. Nün est marocain, mais comme son origine est cosmopolite, elle s’adapte à toutes les contrées et situations.
Elle n’est pas tendance, elle danse au gré du vent, des sons et des sens. Elle s’inspire du monde qui l’entoure et le colore de ses rêves.
Comment définiriez-vous la femme « Nün » ?
J’imagine une femme qui, comme les Italiennes, ose la couleur dès le matin ! Une femme qui a suffisamment confiance en elle pour afficher son identité et sa singularité au quotidien. J’ai été impressionnée par ma mère qui, lorsqu’elle était en caftan, le portait d’une manière spéciale. Du coup, on ne voyait qu’elle ! Ma grand-mère aussi avait un style bien à elle. Elle était toujours en caftan, mais n’hésitait pas à y ajouter une veste en laine, des broderies anglaises… Elle avait une classe incroyable. Toutes deux sont mes modèles. Je voudrais aussi que les femmes portent plus souvent des tissus marocains-marocains afin de participer à faire vivre ces savoir-faire.
La mode était-elle une évidence ?
C’est plutôt l’aboutissement d’un chemin.
J’ai travaillé dans divers secteurs jusqu’à ce qu’une nuit, mes grands-parents m’apparaissent en rêve. Cela a résonné comme un déclic. Ma grand-mère tenait une Dar Maalma où les jeunes filles apprenaient la broderie. Mon grand-père vendait des tissus dans la médina de Tanger et mon arrière-grand-père réalisait des djellabas. Je me suis alors penchée sur le mendil, ce merveilleux tissu rayé du Nord, dont j’ai fait des ceintures, dans un premier temps, avant de le décliner de multiples manières. J’aime ce côté «parfaitement imparfait» des tissus faits main. J’adore apposer des finitions élégantes à ces textiles grossiers. Le métissage crée toujours quelque chose de très émouvant.
Les broderies sont également très présentes dans vos collections…
Les broderies du Maroc sont le fruit de métissages culturels, elles sont aussi chargées d’histoire. Ainsi la taajira, cette broderie chargée de fleurs multicolores si particulière à Tétouan, raconte la Reconquista de l’Espagne qui a poussé les Andalous musulmans et juifs à s’installer définitivement dans cette ville. Le caftan tel qu’il est aujourd’hui est également le résultat de nombreux métissages et évolutions. J’adore me plonger dans les livres pour remonter le cours de l’histoire du Maroc si incroyablement vaste et belle. Quel dommage qu’elle ne soit pas suffisamment romancée !
À travers vos créations vous participez à romancer cette histoire…
Effectivement, mon défilé à Marrakech en juin 2022 rend hommage aux femmes qui ont fait l’histoire du Maroc, à l’instar de Sayyida Al Hurra, littéralement « la femme libre », cette corsaire redoutée des Européens qui a gouverné la cité-État de Chefchaouen au 15e siècle. Une autre tenue faisait référence à la langue hakketya, un mélange d’espagnol, d’hébreu et d’arabe médiévaux, qui a disparu au Maroc, mais qui est encore parlée en Amérique Latine grâce à une communauté juive partie s’établir là-bas au 19e siècle. Il n’y a pas que l’histoire qui m’inspire. Un livre sur les plantes endémiques du Maroc m’a conduit à réaliser un caftan que j’ai intitulé « le Jardin des Hespérides ».
Quel est, pour vous, le summun du luxe ?
Prendre le temps de terminer comme il se doit une pièce unique est incroyablement long et bien des idées sont abandonnées en route ! Il y a d’abord une inspiration qui se métamorphose en dessin et que seule mon équipe, comme elle me connaît bien, peut traduire en patron. Il y a ensuite de nombreux allers-retours, faits de petits et de grands ajustements qui permettent à chaque fois d’aller plus loin dans la création. Couper le tissu est une autre étape décisive. Il faut écouter le tissu, le manipuler avec respect, adapter les aiguilles… Chaque tenue est le fruit de la recherche d’excellence qui transcende tout l’atelier. Quand une pièce est réussie, elle se suffit à elle-même. Les plus beaux bijoux ne sont qu’un complément.
Vous avez connu un grand succès après votre défilé à Milan, quel est votre futur rêve ?
Je m’attaque à un défi créatif ! Ça fait deux mois que je travaille sur une pièce unique qui dépasse tous les défis auxquels je me suis frottée. Cette création déborde du périmètre de la couture pour faire appel à plusieurs autres corps de métiers. L’idée m’a été inspirée par un patrimoine marocain exceptionnel, trop peu connu, qui a su miraculeusement se perpétuer dans une petite ville. Je n’en dirai pas plus, pour le moment…
@lemondedenun