D’une écriture à une autre, Mouna Bennani appose sa signature architecturale marquée par une force de proposition créative rare, doublée d’une humilité qui assure aux maîtres des lieux de voir s’exprimer, dans l’espace, leur identité propre.
Comment est née votre envie de devenir architecte?
J’ai choisi ce métier parce qu’il allie des aspects vraiment antinomiques. Il offre la possibilité de développer autant son esprit artistique que cartésien. Voir une création prendre forme est quelque chose de très enthousiasmant. L’aspect humain dont est doté ce métier a également été déterminant. J’apprécie le partage avec le client et l’écoute de ses attentes pour donner vie à son projet, tout comme j’aime l’idée d’améliorer le cadre de vie de mes concitoyens.
Pouvez-vous revenir en quelques mots sur votre parcours?
Je suis originaire de Tanger où j’ai eu la chance de baigner dans une culture hétéroclite. J’ai pu profiter pleinement de la richesse culturelle, historique et artistique de ma ville et de l’ouverture au monde de ma famille. Me consacrer à l’architecture découlait d’un choix tout à fait personnel. Je suis allée à contre-courant des sollicitations et recommandations de mes professeurs. Selon eux, je devais suivre la voie royale et bien tracée d’un parcours scientifique. M’ayant toujours soutenu dans mes choix, mes parents, m’ont, quant à eux, encouragée à suivre mon intime conviction. Etant hispanophone, j’ai dans un premier temps pensé à m’installer à Barcelone. La formation y était plus technique mais, finalement, c’est sur Paris, centre névralgique du design, de la mode et de l’architecture que j’ai jeté mon dévolu en intégrant l’Ecole Spéciale d’Architecture. Cet établissement a l’avantage d’offrir à ses étudiants une palette d’intervenants et un corps professoral de renom issu de divers courants.
Des workshops et des stages aux quatre coins du monde nous ont, en outre, permis, à mes camarades et moi, d’aiguiser notre regard et notre sensibilité, et par la même, d’affirmer peu à peu notre écriture artistique. Mon diplôme en poche, j’ai intégré un cabinet parisien dans lequel je me suis vraiment épanouie. L’appel du pays restant le plus fort, j’ai décidé de venir exercer au Maroc.
Qu’est-ce qui guide vos choix de projets?
Dans ce métier, les réalisations demeurant nos meilleurs prescripteurs, ce sont le plus souvent les clients qui me sollicitent après avoir vu ou entendu parler de l’une d’entre elles. Un projet architectural doit refléter les souhaits, les besoins et l’âme du client, tout en répondant aux contraintes contextuelles du site et de l’enveloppe budgétaire. Au-delà de sa nature ou de sa taille, pour qu’il puisse aboutir dans les meilleures conditions, j’ai l’intime conviction qu’une confiance et qu’une complicité professionnelle doit pouvoir se créer.
Quels sont les lignes directrices de votre travail sur le terrain?
Depuis le gros œuvre jusqu’aux finitions, je privilégie la concertation et l’échange avec l’ensemble des corps d’état. Je tente, de cette façon, de tenir compte de leurs contraintes et recommandations et d’instaurer un vrai travail d’équipe.
Quels sont les spécificités de vos conceptions?
Pour moi, l’aspect fonctionnel (lumière, air, distribution, isolation) doit primer sur l’aspect esthétique. Une grande partie du travail de l’architecte est de savoir concilier les deux, de façon à sublimer l’espace et de donner l’impression que tout s’imbrique naturellement. Je n’ai pas de style en particulier. Je reste très contextuelle mais je transcris, dans chacune de mes réalisations, une écriture architecturale et artistique très personnelle.
Avez-vous une typologie ou des matériaux de prédilection?
Par essence, j’aime la création quelle qu’en soit la fonction. Je prends tout autant de plaisir à concevoir une petite boutique de quartier qu’un projet socio-éducatif qui s’étend sur plusieurs hectares, en passant par la réalisation d’immeubles d’habitation en ville ou une villa individuelle dans un cadre d’exception. Je privilégie la combinaison de matériaux tels que le béton, le verre et l’acier qui offrent plus de flexibilité et de liberté artistique tout en répondant aux contraintes techniques. En intérieur, j’essaye, dans la mesure du possible, d’utiliser des matériaux traditionnels que je détourne de leur dessein premier (bois sculpté, zellige, tadelakt…) en leur donnant des formes plus contemporaines. Le savoir-faire artisanal est une richesse nationale que nous nous devons de solliciter au maximum tout en le réinventant.
Quelles sont vos sources d’inspirations?
L’architecture traditionnelle japonaise ou encore les médinas marocaines sont pour moi une inépuisable source d’inspiration car y sont intimement liées la relation entre intérieur et extérieur, l’ombre et la lumière, les espaces dévoilés et secrets ou encore la tradition et la modernité en termes de conception, de choix des matériaux, ou de style…
Sans parler des grands maîtres en architecture, quelques figures m’inspirent le respect, à l’instar de l’architecte égyptien Hassan Fathi qui utilise des techniques de constructions locales ancestrales en les adaptant aux besoins de la vie contemporaine. J’apprécie également beaucoup les formes épurées d’Oscar Niemeyer et la maîtrise des plans et des couleurs de Luis Barragan.
Quel regard portez-vous sur l’architecture et sur l’exercice de votre profession au Maroc?
Le Maroc est un formidable écrin pour accueillir un projet architectural tant par ses couleurs, sa lumière que la variété de ses sites. Je pense qu’il y a, ici, une grande sensibilité au cadre de vie. De ce fait, l’architecte est bien souvent appelé en amont du projet. Il m’arrive ainsi d’accompagner des clients, y compris des promoteurs, dans le choix de leur terrain. Ici comme ailleurs, l’une des difficultés de notre métier demeure qu’en matière d’aménagement ou de conceptions intérieures, certaines missions de l’architecte sont sous-estimées au vu, notamment, de la surabondance d’images, d’idées et d’informations proposées sur les sites web ou les réseaux sociaux. Toutefois, dans les faits, c’est pourtant bien notre regard et notre intervention qui assure aux clients de pouvoir faire des choix harmonieux et cohérents.
Enfin, par l’absence de contraintes réglementaires, l’exercice de cette profession libérale demeure compliqué. Je souhaite vivement la mise en place d’un code de la construction qui régirait les devoirs et les obligations de chaque acteur. Je pense que cela serait salutaire car cela pourrait empêcher certains d’opérer uniquement sur la base des coûts et non sur celles de la sécurité et de la qualité.
Quels sont vos prochains projets?
La réalisation d’une école primaire nichée dans une falaise du détroit de Gibraltar me tient particulièrement à cœur, tout comme un immeuble contemporain de type loft à la parisienne, qui viendra s’implanter à Casablanca. Ce projet est porté par un client éveillé à l’importance de la qualité au sens large. Je voudrais également mentionner un terrain encastré aux pieds du lac de Bin El Ouidane, qui est un autre projet inspirant.
Avez-vous un rêve architectural que vous aimeriez réaliser ici ou ailleurs?
Mon rêve ne s’exprime pas dans la réalisation d’un projet en particulier mais dans l’opportunité de travailler avec un maximum de personnes sensibles à l’architecture au sens premier du terme. C’est grâce à cela que la création est possible et que l’alchimie peut opérer.
Une approche écologique en partage!
J’ai eu la chance d’être formée dans un pays où la règlementation technique nous contraignait à adopter une approche écologique et efficiente de la construction. Aujourd’hui, en plus de l’avoir vraiment adoptée, j’essaye de la partager. Cela se traduit dès le choix de l’emplacement du bâtiment, de son orientation et de la détermination de la taille des ouvertures. J’ai bon espoir qu’une nouvelle réglementation thermique du bâtiment soit adoptée au Maroc et surtout appliquée.