À travers une démarche méditative, Mohammed El Hajoui, artiste marocain formé à Milan, interroge les notions de passage, de mémoire et de temporalité. Ses œuvres s’ancrent dans une réflexion sur l’éphémère et les traditions culturelles, utilisant des matériaux simples tels que la cendre et le papier. Ses créations abordent des thématiques variées, telles que les dynamiques sociales, la transmission des savoirs et le lien entre l’individu et son environnement spirituel.
@mohammed.el.hajoui
Comment gérez-vous la tension entre l’artisanat technique et la liberté créative de l’artiste ?
Dans mon travail, le geste technique de l’artisanat et la créativité ne font qu’un, je ne peux pas les dissocier. Dès la phase initiale d’un projet, j’intègre immédiatement la technique que j’utiliserai. À mon avis, il est essentiel de trouver un équilibre entre créativité et pratique technique. Bien que des limites existent souvent, je trouve cet aspect intéressant car il nous oblige à rechercher des alternatives et des solutions. Personnellement, au début de mon processus créatif, j’essaie de ne pas me laisser influencer par ces limites pour ne pas freiner mon inspiration, puis j’adapte le concept si nécessaire.
Un exemple d’artisanat où la technique est intrinsèquement liée à l’aspect créatif est la fabrication de tapis. Elle permet une liberté presque totale dans la conception, malgré certaines contraintes. Un de mes rêves serait de créer un tapis avec mon propre design dans mon pays, en collaborant avec des artisans locaux pour valoriser leur travail et leur donner de la visibilité, en mettant leur savoir-faire au premier plan.
Quand vous travaillez un matériau, est-ce la technique qui vous guide vers un résultat inattendu, ou avez-vous toujours un objectif précis en tête ?
Quand je débute un nouveau projet, je mène d’abord des recherches approfondies sur les matériaux. En général, j’ai une idée assez claire du résultat que je souhaite atteindre. Cependant, le résultat final est souvent différent de ce que j’avais imaginé, parfois de manière très positive, car cela permet de découvrir de nouvelles choses et d’acquérir de l’expérience. Ce processus fait partie de la recherche, et l’erreur peut souvent ouvrir des chemins plus intéressants.
Quel rôle jouent les savoir-faire traditionnels marocains dans votre processus créatif, et comment les combinez-vous avec des méthodes modernes ?
Dans ma recherche créative, je commence toujours par m’inspirer des savoir-faire artisanaux traditionnels. Cela m’aide à établir une connexion plus profonde. Je m’appuie souvent sur l’expérience des membres de ma famille pour comprendre comment ils travaillaient un certain matériau. Aujourd’hui, j’ai également la chance de pouvoir faire des simulations numériques en 3D avant de passer à la réalisation, ce qui me permet d’avoir une vision complète du résultat final.
Je vois de plus en plus ma culture se refléter dans mon art, avec une approche contemporaine, probablement plus stylisée et abstraite. J’aimerais également explorer davantage la calligraphie arabe, que je n’ai pas encore intégrée dans mon travail, et approfondir les aspects moins connus de l’artisanat marocain.
Je suis très attaché à la tradition dans mon art et je crois que son évolution réside dans l’enrichissement par de nouvelles couleurs, des combinaisons de motifs, ou l’utilisation de nouvelles techniques et matériaux, tout en respectant ses valeurs.
J’aime penser que les motifs géométriques islamiques sont comme des mots : placés côte à côte avec un sens, ils peuvent donner vie à des poèmes, des histoires ou des émotions. De la même manière, utilisés de façon créative, ils permettent de raconter une nouvelle histoire à chaque fois, indépendamment du geste technique. Je qualifie cela d’« art discipliné ».
L’installation Radici se compose de deux éléments essentiels : le tapis et la porte. Le tapis invite à l’accueil, permettant de partager repas, instants du quotidien, mais aussi rituels religieux et fêtes ancestrales.
«J’ai exploré mon enfance au Maroc, à travers les coutumes de ma culture et les valeurs de ma foi et religion.»
Qu’est-ce qui vous attire vers un matériau particulier au début d’un projet : l’intuition ou la technique ?
Cela dépend beaucoup du concept que je veux donner au projet et de la manière dont je l’ai imaginé. J’aime beaucoup expérimenter avec les matériaux. Dans mes récents travaux, j’ai exploré l’utilisation de poudres : terres, sables, cendres, argiles. Bien qu’ils puissent sembler similaires, leurs différences techniques, comme la consistance, le poids, ou la porosité, sont fascinantes.
Je suis souvent inspiré par ce que je vois en voyage, dans des documentaires, ou par les histoires que les matériaux racontent. Par exemple, une interview récente d’une Palestinienne à Gaza qui fabrique des fours en argile pour la communauté, en utilisant des matériaux naturels et rudimentaires, m’a profondément marqué. Ce type de connexion avec un matériau, en analysant son histoire au-delà de l’esthétique finale, m’inspire énormément.
Comment voyez-vous l’évolution des motifs marocains dans un monde de plus en plus digital ? Deviendront-ils abstraits ou leurs racines resteront-elles essentielles ?
L’art arabe est l’une des cultures les plus reconnaissables, grâce à la minutie et aux détails qui le caractérisent. Je crois que ses racines resteront essentielles. Au Maroc, heureusement, de nombreuses personnes perpétuent l’artisanat traditionnel. Dans le domaine artistique, une certaine stylisation peut survenir, comme on le voit dans plusieurs projets actuels. Toutefois, la digitalisation risque de rendre les motifs marocains moins uniques, en les privant des imperfections qui les rendent vivants.
Cependant, avec le temps, il sera inévitable pour moi de créer des œuvres durables, qui témoignent de mon passage et de mon histoire pour les générations futures.