On aime le travail de ce jeune architecte qui vient de livrer la nouvelle pâtisserie Serraj, mais qui a aussi conçu la Brasserie Nicole, le Nori et I Ristorante, piloté le chantier de l’hôtel Sahrai à Fès et sublimé le travail de Zevaco au Café Paul. Dans chacun de ses projets, l’architecte, architecte d’intérieur et designer aspire à imprimer une forte présence plastique, réinterprète les principes de l’architecture locale, privilégie la sobriété… Plus à l’aise sur un chantier qu’en interview, il nous a expliqué sa démarche, sa vision de l’architecture, sa passion pour l’Art déco. Une personnalité atypique dans le monde de l’architecture marocaine qui se réclame de Scarpa ou Lautner, des architectes à la forte identité.
Vous avez fait vos débuts chez Christophe Pillet. Qu’est-ce que cette expérience vous a apporté ?
Quand j’ai terminé mes études d’architecture à Paris Malaquais, je voulais compléter mon cursus avec de l’architecture d’intérieur et du design. Finalement, j’ai préféré apprendre sur le tas. J’ai contacté Christophe Pillet parce que j’aime son travail très épuré et parce qu’il est à la fois architecte d’intérieur et designer, mais aussi parce qu’il avait commencé à travailler sur des projets au Maroc. Cela m’a permis de compléter ma formation. J’ai passé cinq ans et demi chez lui et j’ai travaillé sur des projets très divers en France et au Maroc. Ici, on a fait les restaurants Maison Blanche de Fès et de Casablanca, des villas, l’hôtel Sahraï à Fès et l’extension du Riad Fès.
Quand avez-vous décidé de voler de vos propres ailes ?
Une fois terminé l’hôtel Sahraï que j’ai maîtrisé de l’esquisse à la livraison, j’ai considéré que j’avais assez d’expérience pour me lancer. J’étais rentré au Maroc pour suivre la dernière phase du chantier. Dans la foulée j’ai monté mon agence, en 2014.
Vous avez trois casquettes :
architecte, architecte d’intérieur et designer. Cela veut-il dire que vous ne concevez pas un projet sans les trois ?
Ce sont des phases qui sont liées entre elles. Cela permet de concevoir un projet de manière homogène. Toutefois, si le bâtiment est déjà là, je compose avec l’existant et ses contraintes qui deviennent un atout. Actuellement, je travaille sur une villa où j’interviens sur les trois phases, mais c’est rare. En revanche, je fais systématiquement l’architecture et l’architecture d’intérieur. On ne peut pas toujours intégrer le design pour défaut de moyens, de temps ou de fabrication.
Que préférez-vous faire ?
L’architecture.
Justement, quelle est votre vision de l’architecture ?
Elle est liée à son impact à grande échelle sur la ville et son environnement et à petite échelle sur le particulier et les habitants. La manière avec laquelle elle va s’intégrer dans son paysage, mais aussi l’influencer, la changer à court et à long terme. Elle est aussi liée à ce qu’elle offre à son utilisateur comme espace, comme volume, comme lumière, comme perspective et comme ambiance. La notion de durabilité est également importante, dans la manière dont on construit et dont on conçoit. J’évite par exemple de faire appel à des matériaux qui ne durent pas dans le temps comme les parements en bois et tout ce qui est décoratif en habillage. Il faut que l’architecture soit belle par son dessin et pas par les matériaux utilisés. Une architecture travaillée dans ses volumes n’a pas besoin de décoration. Dans la conception, certains matériaux sont «démodables» comme les parements en aluminium, la pierre, les carreaux, les imitations bois. Ce sont des effets de mode. La conception de l’architecture doit être intemporelle, même si c’est difficile. C’est un challenge.
Comment définissez-vous votre style ?
Moderne dans son ensemble, mais mes projets sont tous très différents les uns des autres. Cependant, il y a quelque chose qui les lie : le travail de la perspective. J’aime bien travailler sur des successions de plans, des profondeurs de champs et la lumière. Il y a aussi un travail sur la couleur, les matériaux, le dedans et le dehors, la lumière naturelle et la lumière artificielle…
Puisqu’on parle des matériaux, quels sont vos préférés ?
Le béton, le granito dans une vision plus épurée qu’à la période Art Déco. J’aime le granito gris béton avec de la gravelle blanche et des joints en laiton. J’utilise le bois à l’intérieur : chêne, châtaignier, noyer. Idem pour les marbres que je préfère locaux pour leurs belles couleurs adaptées au Maroc : gris clair, gris taupe, anthracite, noir… Des couleurs neutres qui correspondent à mon goût pour les intérieurs neutres. Le Maroc nous offre beaucoup de matériaux comme la pierre de lave que j’utilise sur les terrasses et dans les salles de bain. C’est toujours plus écologique de travailler avec des matériaux locaux, et souvent moins cher. J’aime aussi travailler le miroir en habillage pour obtenir de la profondeur. Je les utilise sur des plafonds quand on n’a pas de très belles hauteurs sous plafond, pour agrandir l’espace.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Mon environnement. Le centre-ville de Casablanca et son architecture Art déco sont une grande source d’inspiration pour moi. J’aime aussi me balader à Anfa pour voir les anciennes villas, du moins ce qu’il en reste… Les villas d’Albert Planque sont extraordinaires. Il y en a aussi à Mohammedia et dans toutes les petites villes construites par les Français : Benslimane, Ben Ahmed…
Les voyages, aussi bien à l’étranger qu’au Maroc. J’adore sillonner l’Atlas à la découverte de l’architecture vernaculaire, des kasbahs…
Qui sont vos maîtres ?
Le Vénitien Carlo Scarpa pour son travail sculptural. Ses escaliers devraient être exposés dans les musées, ses calepinages de matériaux ressemblent à des tableaux. Sn travail est hors-norme, pas conventionnel. Le Japonais Tadao Ando pour sa simplicité, son architecture épurée, ses volumes, son utilisation du béton. Le Brésilien Oscar Niemeyer pour son architecture sensuelle, ses formes courbes et ses plans libres. Enfin l’Américain John Lautner, élève de Frank Lloyd Wright. J’aime son travail sur les volumes. Il composait beaucoup avec l’environnement et réalisait lui aussi de vraies sculptures, des maisons futuristes.
Vous avez la particularité de donner une place prépondérante au jardin dans vos projets.
Oui le jardin est très important pour moi et la maison est toujours liée au jardin. Quand je commence à plancher sur un projet de villa, tout part du jardin. Actuellement, je travaille sur une maison en L avec toutes les pièces traversantes et une vue sur le jardin des deux côtés.
D’où vous vient votre passion pour l’Art déco ?
De l’enfance. C’est une architecture qui m’a toujours intrigué. J’ai grandi à Casablanca et j’ai toujours essayé de comprendre pourquoi il y a une différence entre le centre et le reste de la ville. Le centre a toujours agit comme un aimant sur moi. Enfant, j’aimais m’y balader et y retrouver mon père qui y travaillait. Adulte j’ai acheté un appartement dans le quartier que j’ai entièrement rénové dans les règles de l’Art déco. Si on prend une façade Art déco, il y a un travail de profondeur remarquable à travers les moulures, les dessins, les matériaux comme la ferronnerie. C’est ce que j’aime dans cette architecture, les volumes sculptés le travail des profondeurs, mais aussi les jeux d’ombre et de lumière, des jeux d’ombres géométriques ou organiques. Le centre-ville est pour moi un quartier très profond, sur une façade on peut voir beaucoup de choses.
Et que pensez-vous de l’apport de l’art islamique à l’Art déco ?
C’est un très beau mélange qui permet de donner une originalité à l’Art déco marocain et de l’intégrer à son environnement et à sa culture. Cet apport a aussi permis d’intégrer les artisans locaux aux projets de l’époque.
Et vous, travaillez-vous avec les artisans ?
Oui, beaucoup, sur le laiton, le zellige, le plâtre. Sur le granito aussi. C’est une technique qui s’est banalisée à tel point qu’aujourd’hui, il est difficile de trouver du granito de qualité car cela prend du temps. Ce qui serait magnifique, ce serait de créer un groupement d’artisans avec qui les architectes pourraient travailler en adaptant les techniques.
Vous aimez chiner meubles, luminaires et objets et parfois même les transformer. D’où vous vient ce goût pour la chine ?
J’ai commencé à Paris quand j’étais étudiant. Je chinais du mobilier dans les brocantes et les vide-greniers. J’aime aussi modifier, refaire. Dernièrement, j’ai acheté deux lustres en laiton et un autre années 40 à un marchand ambulant. Il manquait quelques pièces. J’ai récupéré les abat-jour en verre du lustre années 40 pour des lampes de chevet. J’ai modifié la structure du lustre en laiton et j’ai ajouté un abat-jour en tissu. Tout cela avec l’aide des artisans avec qui je travaille.
Vous arrive-t-il d’intégrer vos trouvailles à vos projets ?
Parfois. Je viens de chiner des lampes et un miroir pour une villa.
Sur quels types de projets travaillez-vous en ce moment ?
Essentiellement des villas à Casa, Rabat, Cabo Negro…
Si vous n’aviez aucune contrainte, qu’aimeriez-vous construire ?
J’aimerais réaliser un projet en dehors de la ville, une station thermale dans le genre de celle qu’a conçu Zevaco à Sidi Harazem, un projet hyper futuriste. Je voudrais faire quelque chose en pleine nature et qui soit utile.