Graphiques, simples mais extraordinairement fortes par leur puissance évocatrice et émotionnelle, telles sont les créations de Marta Bakowski, cette designer française, diplômée de la Saint Martin’s School qui a déjà à son actif de bien prestigieuses collaborations, parmi lesquelles La Chance, Ligne Roset ou encore Roche Bobois. Des créations bienveillantes, joyeuses et qui participent à enchanter le quotidien. Rencontre avec une designer rayonnante.
Qu’est-ce qui vous a incité à vous tourner vers le design ?
Je viens d’une famille d’artistes : un père peintre et sculpteur et une mère régisseur au théâtre. C’est un peu «classique», mais il était évident pour moi que mon futur aurait une forme créative. Mon rêve était d’aller sur les pas de grands stylistes comme Alexander McQueen ou encore Galliano. Finalement, je n’ai pas suivi cette route mais je suis tout de même partie étudier le design dans la même école que ces créateurs que j’admirais, la Central Saint Martin’s School à Londres. Je suis restée sur le design d’objets depuis et je pense que c’est un bon choix. C’est un métier qui permet une belle diversité et une grande richesse de projets et de collaborations.
Comment définiriez-vous votre style ?
Je dirais qu’il est graphique avec une attention particulière portée à la couleur et la matière. Le mot anglais qui me vient à l’esprit est «bold». J’aime travailler des silhouettes généreuses. Mes objets se situent quelque part entre design industriel et artisanat. S’ils ne comportent pas un élément travaillé à la main, comme pour la lampe Rays chez Roche Bobois par exemple, ils s’inspirent directement d’une culture, de ses traditions ou de son savoir-faire.
Quelles sont vos principales sources d’inspiration ?
Les arts primitifs et folkloriques et les cultures populaires sont mes principales sources d’inspiration. Je suis fascinée par les objets qui racontent une histoire, qui sont témoins d’une culture. J’aime les revisiter, les réinterpréter. C’est une manière de les comprendre. L’art en général est aussi fédérateur d’idées : Calder, Cocteau, Albers ou encore Matisse. J’aime aussi énormément le travail d’artistes actuels comme Hassan Hajjaj ou MO (Imogen Van Sebille), et les grands classiques comme Jean-Paul Goude ou Jean-Claude de Castelbajac. Les matières (nouvelles ou réinterprétées) et les techniques de manufacture sont aussi souvent à l’origine de mes recherches.
Quelle est votre conception du design ?
Je pense qu’avant toute chose le métier de designer doit être fait avec le cœur. C’est peut-être un peu naïf, mais dessiner des nouveautés pour la nouveauté ne m’intéresse pas. Quand je conçois des objets, il y a en général un gros travail de recherche fait en amont. C’est ce qui donne à l’objet toute sa substance. L’objet doit être généreux et évocateur, après tout il est censé faire partie de notre quotidien! Le design, c’est aussi une histoire de collaborations. Un rapport humain et un dialogue organique avec les éditeurs, les artisans, les manufactures (…) est important.
Un conseil pour les jeunes designers ?
Persévérer et rester léger! Le métier de designer n’est pas le plus aisé. Rester curieux et à l’affût est essentiel. Je parle souvent à mes étudiants de l’importance de regarder le monde, la vie réelle, les gestes, les rituels… L’inspiration ne se trouve pas sur internet. Il faut aussi savoir aller à la rencontre des artisans et manufactures, pour comprendre les mécaniques et contraintes de production. Le designer ne travaille pas seul, il fait partie d’un cercle d’acteurs qui ensemble permettent de mener à bien un projet. Savoir communiquer et savoir jouer des contraintes est important. Enfin, pour les jeunes designers qui souhaitent être indépendants et monter leur propre studio, il faut comprendre que le dessin et la partie créative ne sont qu’une petite partie du job. Au départ, il faut savoir enfiler plusieurs casquettes et être son propre comptable, photographe, chargé de communication, développeur… Mais c’est aussi très excitant!
Quelques indices sur vos prochains projets ?
Je travaille depuis quelque temps sur un projet d’assises avec un textile étonnant pour l’éditeur français La Chance (qui édite mes lampes Sorcier et le papier peint Happy Rain). Le projet devrait voir le jour bientôt. Je dessine également une collection de mobilier pour un nouvel éditeur qui célèbre la couleur. À côté de cela, j’enseigne dans une école d’art. C’est un projet à part entière, sur du long terme. Réussir à donner des sujets qui font sens est un vrai challenge, mais la transmission est quelque chose de magique!
Selon vous, à quels défis doit se préparer le design de demain ?
Il y a bien entendu la question de l’environnement qui est centrale. Un designer à lui seul ne résoudra pas tous les problèmes. Il faut que chacun travaille à son échelle en commençant par faire les bons choix et en sélectionnant des éditeurs et manufactures responsables et locales. Nous sommes malheureusement toujours dans une surconsommation et une société du jetable. Nous devons penser des objets plus pérennes et aborder autrement les matières qui posent problème. Je pense qu’une des grandes difficultés est de changer les habitudes des gens. Le social est également un sujet important. Certains projets de collaboration entre artisans et designers vont dans ce sens, permettant par exemple, une meilleure intégration de personnes réfugiées ayant des savoir-faire fantastiques dans leur pays d’accueil, avec une rémunération et un regain de dignité à la clef. Je pense que le design de demain sera de plus en plus hybride avec encore plus de croisements de connaissances, ce qui est une belle perspective. Mais le designer seul n’ira pas loin, il faut que les grosses entreprises, les grandes marques et éditeurs, ainsi que les distributeurs revoient leurs modèles. Si faire du chiffre est le seul moteur alors cela n’a pas de sens.