Marcel Wanders a été le premier à oser bousculer les codes du minimalisme dans les années 1990. 25 ans après, celui que le New York Times a surnommé «le Lady Gaga du design» continue à nous enchanter et à nous surprendre avec des créations poétiques, décalées et souvent inspi- rées du passé, que ce soit pour sa maison d’édition Moooi (beau en néerlandais) ou pour les plus grandes marques internationales. Il nous dit tout sur sa passion pour le design, le processus de création, son travail avec les artisans, ses envies et ses projets.
D’où vous vient votre passion pour le design ?
Je pense que c’est quelque chose qui m’a toujours accompagné. Tout au long de ma jeunesse, j’ai passé mon temps, le plus naturellement du monde, à examiner les produits dans le magasin de mon père en tentant de découvrir ce qu’ils représentaient par rapport aux attentes des clients et ce que les gens aimaient.
Enfant, j’aimais essayer de comprendre comment les choses fonctionnent, comment les éléments s’imbriquent et s’articulent entre eux. C’est comme cela que je me suis retrouvé à concevoir et fabriquer différents objets.
L’une de mes principales motivations a toujours été d’appréhender ce qui motive les gens dans leurs choix. Ma motivation a toujours été d’apporter un produit ou une expérience qui change ou améliore la vie quotidienne de chacun. Alors on peut dire que ma passion du design est intimement liée à la dimension pragmatique et pratique de la création. Pour moi, interagir avec les autres a toujours été synonyme d’une vie pleine et riche.
Vous avez deux casquettes. Vous êtes designer et architecte d’intérieur. Avez-vous une préférence pour l’un ou pour l’autre ?
Je considère les deux activités aussi gratifiantes l’une que l’autre. Elles me permettent, chacune à sa manière, d’exprimer mon style, de donner cette signification propre à ma création avec toujours le même souci de me connecter aux autres à travers quelque chose qui fait sens.
En fait, lorsque je me lance dans un projet, quel qu’il soit, c’est réellement une immersion totale dans le processus créatif qui va mettre à jour, chaque fois, quelque chose de nouveau du fond de moi. Lorsque je travaille sur un agencement intérieur, je m’exprime à travers l’espace en question, son architecture ou encore l’usage des couleurs dans une relation étroite avec la conception du mobilier afin de créer une expérience multisensorielle.
Lorsque je travaille sur un objet ou un meuble, je me concentre davantage sur la façon dont il sera utilisé. Je réfléchis à la manière dont il va mettre en valeur l’environnement auquel il est destiné et comment il sera reçu par son destinataire.
Mon travail est le prolongement naturel et indissociable de ma personnalité comme de l’espace où seront placées mes créations, simplement par la passion qui m’anime et qui s’exprime à travers chacun de mes projets.
Quelle est votre étape préférée dans le processus de création ?
Indéniablement la collaboration et le partage des idées. Pendant les sessions de brainstorming, chacun des participants au projet explore, tout est alors possible. C’est quand on ne se fixe pas de limite que l’on peut trouver la meilleure solution à un problème donné.
Nos efforts, au niveau de l’équipe, reposent sur un socle solide composé de la compréhension concrète des notions de forme, de fonction, de matière, de savoir- faire artisanal et surtout avec en tête une connection permanente avec l’esprit humain. L’écoute des différentes propositions et de leurs perspectives respectives enrichit le projet de l’expérience et de l’histoire individuelle de chacun. Chacun peut apporter sa contribution dans le respect mutuel et l’échange. Il n’y a pas mieux pour s’améliorer et réaliser ce qu’il y a de meilleur. C’est pour cela que c’est mon étape préférée dans le processus de création.
Que cherchez-vous à travers le recours aux artisans et le mélange entre les processus industriels et artisanaux ?
J’ai, depuis le début de ma carrière, la volonté de donner une place de choix à l’humain dans le design.
Pour cela, je remplace la froideur de l’industrie par de la poésie, de la fantaisie, de la romance de différentes époques que je remets au goût du jour.
Ce faisant, je jette les bases d’une nouvelle approche qui réunit le designer, l’artisan et l’utilisateur.
Les artisans apportent leur enthousiasme. En fait, ils s’investissement complètement dans leurs tâches au- delà de la création stricte. Il y a une dimension magique d’humanité qui se transfère dans le produit fini, qui est moins stérile et froid, plus authentique et plus personnel. C’est cette approche multi-disciplinaire qui nous permet de proposer des créations attractives, parfois provocatrices ou les deux à la fois.
On décrit votre travail comme «poétique, fantaisiste et humaniste», qu’en pensez-vous ?
J’y souscris sans réserve. Tout au long de mon processus créatif, je fais appel à une expérience tactile, au savoir- faire des artisans, en laissant une place à l’imprévu et à la coïncidence. Que je peigne à la main, que je sculpte ou que je conçoive un produit ou un espace intérieur, je tends vers une vision de la réalité améliorée, en m’autorisant une certaine liberté. Cela se traduit souvent par une suppression des contraintes mécaniques et un travail avec les émotions profondes et le cœur.
Mon approche du design est imprégnée par la poésie, le romantisme, la volonté de stimuler et de surprendre.
Je commence chaque projet en me projetant à l’intérieur de moi-même pour d’abord créer un environnement doux, amoureux passionné, qui rend possible la réalisation des rêves les plus fous.
Quelles sont vos sources d’inspiration lorsque vous créez une chaise ou un objet ?
Créer des objets qui vont toucher les gens implique de faire des objets qui soient à la fois beaux et novateurs. Je puise donc mon inspiration à différentes sources en restant ouvert à tout.
J’étudie en permanence les gens autant que les matières. Mais la création en général, n’est pas un processus linéaire. Je prends en considération le corps humain et ses mouvements, l’environnement dans lequel évoluera le produit, la multiplicité des usages auxquels il est destiné. Bien que rien ne soit nouveau depuis la création du monde, en combinant les choses d’une certaine manière on obtient à chaque fois une création originale. L’inspiration est ce qui me permet à chaque fois d’établir une connexion avec celles et ceux qui vont utiliser mes créations.
En 2001, vous avez lancé Moooi en partenariat avec Cas- per Wissers. Comment définissez-vous cette marque ?
Moooi est une collection d’objets exclusifs, audacieux, recherchés animés par la conviction que le design est avant tout une question d’amour.
Moooi propose un mélange de luminaires, de meubles, et d’accessoires conçus avec différents motifs, couleurs où se mêlent la beauté de l’ancien et la fraicheur des temps modernes.
C’est la convergence de visions inattendues qui inspire et séduit le monde avec ce mélange éclectique parfait de la culture et des expériences qui apportent une touche de magie chez les gens.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre collaboration avec Baccarat et Christofle ?
La réponse est simple. Chacune de ces deux célèbres marques repose sur des standards de qualité très élevés. Il n’y a pas beaucoup de marques de ce genre et collaborer avec l’une d’entre elles est une opportunité unique. Pour Baccarat, nous avons présenté un luminaire exceptionnel baptisé «Le Roi Soleil» comme un hommage à l’illustre Louis XIV, une audacieuse réinterprétation de l’iconique lustre Zenith. En adoucissant les angles, en ornant les abat-jours en cristal de motifs en taille de diamant et en les inclinant nous avons pu créer une sphère céleste de lumière, un symbole audacieux de modernité.
Travailler pour Christofle fut tout aussi gratifiant. Aux côtés de leurs artisans, nous avons conçu des pièces d’horlogerie qui répondent à des standards de précision et de luxe. La pendule Grand-père de 2,10m de haut, est à la fois fonctionnelle et grandiose. Avec ses proportions démesurées, son travail complexe de gravure et ses matériaux nobles, l’horloge porte la signature de la famille ; les feuilles entrelacées, les fleurs de lys bouclées et les pommes décoratives s’opposent. L’autre pièce est une horloge murale composée de trois horloges qui peuvent être réglées pour donner simultanément l’heure de différents fuseaux horaires. Les motifs utilisés pour cette pièce sont des gravures de motifs inspirés de la nature. Ces horloges reflètent la sensualité et la poésie. Ce sont des objets au luxe intemporel qu’on garde pour toujours.
Vous avez créer un grand nombre d’objets au cours de votre carrière. Auquel êtes-vous le plus attaché ?
C’est difficile de faire un choix. Chaque mission m’a apporté son lot de défis et a révélé quelque chose de différent de moi à travers le processus de création. Avec chaque projet, j’ai évolué en tant que designer et en tant qu’homme Parce que je m’implique énormément dans chaque projet, celui auquel je suis le plus attaché est toujours le prochain.
J’ai lu dans une interview que vous aviez envie de concevoir une mosquée. Pourquoi ?
Je pense qu’avoir la chance d’explorer les racines d’une culture et de les réinventer serait fascinant, éminemment stimulant et une véritable opportunité d’aider à construire des ponts entre les cultures et les visions du monde. L’histoire et les réalisations du Moyen-Orient sont incroyables et nous devons nous en souvenir. Construire une mosquée serait pour moi une opportunité d’utiliser une architecture et des matériaux et contemporains pour créer quelque chose de légendaire, tout en exprimant mon immense respect envers cette culture. Le design est une activité politique, il peut proclamer la paix, le respect et l’unité dans la diversité ; je voudrais l’utiliser dans ce but précuis.
Vous venez de célébrer 25 ans de design. Quels sont vos projets ?
Il y a beaucoup de projets à l’horizon, et nous sommes impatients de collaborer avec des designers et des entreprises du monde entier l’année prochaine. A court terme, j’ai hâte que les hôtels Iberostar Portals Nous à Majorque et Mondrian à Doha ouvrent leurs portes. Au- délà, tout est ouvert. Notre but chaque année, est de rester ouverts à l’inspiration. Nous sommes impatients de voir ce que 2017 nous réserve.
Quelle est votre définition du luxe ?
Pour moi, le luxe commence là où la fonctionnalité s’arrête. C’est uniquement quand la valeur est personnelle, sans notion de prix ou de raison, que la magie peut commencer. Un lieu où votre voeu le plus profond peut être exaucé avant même que vous le formuliez.