Vernissage, le mardi 15 février à 18h30
Exposition du 16 février au 17 mars 2022
Galerie de l’Institut français de Rabat
1 rue Abou Inane
Née à Tétouan en 1971, Monia Touiss, vit entre le Maroc et l’Espagne. En 1992, elle décroche le Prix Mariano Bertuchi et le diplôme de l’École Nationale des Beaux-Arts. Monia Touiss détient un doctorat « La realidad asediada ; posicionamientos pictoricos », de la Faculté des Beaux-Arts de l’Université de Barcelone depuis 2000. Huit expositions personnelles lui ont été consacrées dans la capitale catalane entre 2000 et 2016, principalement à la Galerie SAFIA, ou à Stuttgart (2000), à Cordoue (2004), à la Cité internationale des arts de Paris – suite à une résidence offerte par l’Ambassade de France au Maroc en 2002 -, à Bogota (2011), à l’Institut français de Marrakech (2015) et à Manama, au Bahreïn, à la Albareh Art Gallery en 2016. Comme bon nombre des jeunes talents depuis deux ou trois générations, sa première exposition fut organisée par le Dar Chebab de Tanger, en 1990. Elle présente ses œuvres dans une centaine d’expositions collectives et de manifestations culturelles, majoritairement à Tétouan, notamment avec l’Instituto Cervantes, puis en Espagne, toujours au cours de nombreuses collaborations : avec la Galerie Sofia, ainsi que cinq participations au Hypermerc’Art de Barcelone. Elle fait par ailleurs de très régulières interventions au Moussem d’Assilah.
La création de Monia Touiss est un ensemble d’accords chromatiques répartis sur la surface de la toile. Une répartition conçue avec la sensibilité d’une poète et le doigté d’une peintre. La lumière, la perspective, la composition et la transparence des couleurs suggèrent avec légèreté et finesse des paysages méditerranéens. Des évocations conçues à travers des couleurs vives et d’autres sombres.
Une lumière vient du fond de la toile. Voilà une œuvre éclairée par elle-même. Qui se suffit à elle-même. Elle dresse ses propres perspectives, allant de nulle part vers nulle part, points de fuite dessinés, esquissés plutôt, pour animer la toile ou attirer l’œil et l’emmener vers une cachette connue de soi seulement. Et l’on découvre des vallonnements couverts d’incendies ou de glaciers, sous des cieux accablés d’orages et leurs horizons qui se fondent dans une tempête de bourrasques, un grain de haute mer, un magma en suspens dans l’air. D’immenses apaisements, où les choses vont de soi, où un léger soleil baigne le paysage entier, éclaire le tableau de sa douce chaleur, en larges aplats dorés. Il y a indéniablement une véritable tentation de la narration dans l’œuvre de Monia Touiss. Et il est évident que les spectateurs trouveront des pléthores d’histoires à aller puiser dans chacune de ses œuvres. La peinture s’y éthère suffisamment pour que chaque imaginaire puisse y trouver sa place. Au cours d’une récente exposition à la Casa Arabe de Madrid, Monia Touiss a réinscrit des fantômes de formes dans son canevas abstrait, où transparaissaient, à peine suggérées, portes cochères, arcades, perspectives des ruelles de la médina où elle promenait son enfance. Elle reprit ensuite, qu’elle continue aujourd’hui encore d’explorer, tout un champ de portraits dans lesquels les visages se fondent avec la lumière, dans un fond sans fond, sous ces voiles dont se protègent les jeunes vierges et ceux des belles épousées, des portraits totems ou des portraits de cour, de ceux dont on orne les galeries infinies et sombres des châteaux, portraits d’ancêtres dont personne ne se souvient et d’amantes tant désirées et choyées, ciselés dans la même anonymité que celle mise à nu par un Giacometti amoureux. Des lèvres vermillon, un regard noir, l’auburn de cheveux retenus en chignon, un foulard jaune, une étole de crêpe, un vertige bleu et un soupir ocre, quand l’attente rosit : ces femmes sont là, sous le pinceau de la peintre, parce qu’elles sont le monde et ses envers.
Monia Touiss procède à une forme de dissolution de l’espace, comme un aboutissement du processus enclenché par Nicolas de Staël. Où la figure est là, cachée par le mouvement et par la matière, mais qui résiste encore sous la mince couche d’huile ou d‘acrylique. Outre les grands formats qui constituent son caractère remarquable, cet art est cela avant tout : une représentation du monde à la dimension du cosmos. De cette nébuleuse qu’elle représente et qu’elle contient, l’œuvre introduit une nouvelle dualité. Voilà une peinture minérale qui rappelle une tranche d’onyx ou l’intérieur d’une géode, une coulée de lave et un mouvement magmatique originel, le froid et la distance de cette nuit qui règne dans les mondes intersidéraux, où seul prévaut le vide absolu. D’ailleurs, cette peinture est elle-même un grossissement, un zoom effectué avec énergie tant sur des objets indéfinis que sur nos imaginaires.
Monia Touiss est aussi pure peinture, une essence de la peinture, de la même façon qu’elle est pure spatialité, une conquête de l’espace. Un envahissement de ce qui reste de l’espace quand tout en a été défait et qu’il ne demeure que le pigment, comme une poussière interstellaire, voilà ce qui nous entoure, nous enveloppe et nous interpelle. Monia Touiss peint une œuvre contextuelle, à hauteur de l’être humain, dans laquelle l’homme peut encore entrer.
Une œuvre à sa taille, qu’il peut habiter. Ce que l’on appelle une vacance, une forme d’hospitalité, une disponibilité, mais également une certaine poésie et plus encore, une spiritualité, telle qu’elle demeure pensée ailleurs qu’en Occident.
Philippe Guiguet Bologne Tanger 2022