Mehdi Berrada est un architecte atypique qui tient un discours anti-conformiste plutôt rafraichissant par les temps qui courent. Amoureux de l’Afrique où il a roulé sa bosse et du brutalisme, il propose une architecture sur-mesure qui dégage une émotion. Il nous dit tout sur son parcours, ses sources d’inspiration, ses maîtres, sa conception du métier, son rapport à la matière, ses réalisations (dont le Comptoir des Arènes à Casablanca), ses rêves…
Photos : Mehdi Berrada
Qu’est ce qui vous a donné envie de devenir architecte ?
Mes parents sont architectes tous les deux. Mais au début, par réaction, je ne voulais pas exercer ce métier. J’ai mis du temps après le bac à savoir ce que je voulais faire et à m’inscrire dans une école. Finalement j’ai fait l’ESA à Paris. A quarante ans, j’ai l’intime conviction que je commence ma carrière avec mon agence LMNTS LAB.
C’est si difficile de faire son trou en tant qu’architecte au Maroc ?
Faire son trou, cela implique de se battre, de dépenser de l’énergie. Moi je crois plutôt aux énergies, aux coïncidences, aux rencontres. Je me suis battu pour imposer une vision.
Projet CP
Immeuble d’appartements à Abidjan, Côte d’Ivoire.
Mission complète archi + déco
Laquelle ?
Résoudre les problèmes sociétaux par l’espace. Quand on est confronté à la dure réalité des promoteurs, des virgules et des zéros, les beaux rêves s’enfuient. Mais finalement, il faut composer avec les gens. Ils sont dans l’équation.
Sur quels types de projets intervenez-vous ?
Le moindre prétexte à faire de l’architecture est bon pour moi. Je fais des immeubles résidentiels haut standing en Côte d’Ivoire, des villas, des boutiques, des restaurants… Je fais de tout car je considère que l’on apprend toujours quelque chose.
Ville LM, la villa de Mehdi Berrada
Vous faites aussi de l’aménagement intérieur ?
J’aime le faire de manière systématique. Je conçois un projet de façon global. Quand je fais un plan, je dessine aussi les meubles. Une table de chevet est aussi importante qu’une brique composant un mur.
Proposez-vous exclusivement vos créations ?
Non, je les mélange avec du mobilier d’éditeurs ou/et des pièces chinées. En général, je dessine les évidences comme une jardinière par exemple, parce que je considère qu’à tel endroit, on en a besoin.
Comptoir des Arènes
Restaurant, Design & build
Bois, béton, acier brut, cuir
Livré 2016
Comment définissez-vous votre style ?
Beaucoup d’architectes s’attachent à avoir un style. Moi, j’ai plutôt une philosophie, des principes. Par exemple, je n’utilise jamais de matériaux à effets (effet béton, effet bois…).
Pourquoi ?
Parce que j’aime la matière pour sa vibration. J’ai un rapport à la matière très physique. Il y a tellement de matières disponibles. Avec une matière à effet, on perd tout, parce qu’une matière a une vibration qui vient de son essence, pas de son effet. J’aime aussi la part de hasard et de surprise dans une matière brute.
Alors quelles sont vos matières de prédilection ?
En ce moment je m’intéresse beaucoup aux métaux (laiton, cuivre). Mais aussi au béton et ciment qui resteront toujours pour moi comme une espèce de Graal. J’aime l’acier et le bois aussi. Moins le verre pour son côté «moderne» des années 90.
Revenons à votre style, à votre conception du métier d’architecte.
Pour moi, chaque projet a des composantes, des éléments (d’où le nom de mon agence LMNTS, soit éléments sans E). Mon architecture se fait à partir de particules élémentaires qui flottent comme un nuage invisible autour de l’idée du projet. Mon rôle c’est d’attraper les particules et de les mettre ensemble. Et ces particules, ce sont le client, les moyens à ma disposition, le site, le climat…
J’essaye toujours d’offrir une émotion sans avoir recours à un vocabulaire déjà établi, reconnu.
Villa BJ à Bir Jdid
Pierre, enduits terre, béton brut
Qui sont vos maîtres ?
Il y en a plusieurs, chacun pour une raison bien précise. Peter Zumthor, ermite qui vit près de Bâle, en Suisse. Mon rêve ce serait d’avoir son chemin. Il est lent, il aime la matière, les petits projets. Sans prétention aucune, j’ai été rassuré de me retrouver en lui. Zevaco, forcément, pour sa liberté. On ne peut pas être insensible à son oeuvre. J’aime aussi sa manière d’interpréter le climat, les besoins. Il a réinterprété le riad dans des formes innovantes. Scarpa parce que c’est un chirurgien. Il va faire une voile en béton et réussir à y ciseler une ouverture en lapis lazuli. C’est un véritable horloger. C’est réconfortant de voir que le détail peut sauver l’architecture. Il y a aussi Tadao Ando pour la lumière et le béton. Mais je ne suis pas fan du star-system. Souvent les «starchitectes» sont avalés par le système et n’ont même plus le temps de rencontrer leurs clients. Dommage de perdre le lien avec l’humain !
Parlez-nous du Comptoir des Arènes qui vous a fait connaître du grand public.
Un des associés, Yahya est un ami d’enfance. Nous nous étions perdus de vue et nous nous sommes retrouvés sur une photo d’un restaurant milanais que j’avais postée sur Facebook. Elle lui a plu et il m’a proposé de faire son futur restaurant. C’était la première fois qu’un client était emballé par l’utilisation de matériaux bruts. On m’a demandé de jouer avec l’acier, le bois et le ciment, mais on ne m’a pas dit comment. Ces matériaux apportent une atmosphère cosy. Ce sont des matières qui ont un référentiel très terrestre. Le restaurant a à la fois un côté new yorkais, esprit loft et un côté catalan avec ses briques rouges. Ce projet s’est fait avec amour. Il est basé sur une histoire d’amitié.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
J’ai beaucoup de projets en Afrique, particulièrement en Côte d’Ivoire, car je suis complètement dingue de l’Afrique. Tout y est brut, même les gens sont bruts. J’y fais du résidentiel, des immeubles à usage mixte, un petit lodge d’une vingtaine de suites, un port de pêche. Je fais aussi un port de pêche au Sénégal.
La façon de travailler y est-elle différente ?
Disons, qu’il faut être extrêmement souple. J’ai passé cinq ans en Guinée équatoriale. Quand on a travaillé dans ce pays, on peut travailler partout. Là-bas, on va toujours à l’essentiel. Les réglementations urbaines sont moins strictes qu’au Maroc. Je préfère l’enthousiasme des Africains à la frilosité des fonctionnaires marocains.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Elle sont souvent accidentelles et nourries par mes nombreux voyages. Chaque voyage nourrit quelque chose : le bois, la terre en Afrique ; la pierre volcanique en Islande ou en Grèce ; la manière d’aborder le logement social au Danemark…
Si vous n’aviez aucune contrainte, qu’aimeriez-vous construire ?
Au Maroc, une école dans laquelle les enfants s’éclatent. Et un village communautaire en plein désert dont le mode de vie serait complètement débarrassé des acquis et des habitudes. Seul, en couple, en famille, avec des amis, on pourrait y créer des espaces de retraite, de rencontres, de célébrations, différentes échelles, de l’intimité à l’anonymat absolu.