Outre Milan, Paris était, au mois de juin dernier, l’autre rendez-vous incontournable de tous les professionnels de la décoration. Sous le Grand Palais Éphémère, se tenait en effet la 5ème édition de Révélations, la Biennale Internationale des Métiers d’art et de Création. Un événement où le luxe se conjugue avec beauté des matières, excellence des savoir-faire et passion de la création, pour donner naissance à des œuvres uniques avec un supplément d’âme. Pour la première fois, le Maroc y était présent officiellement avec huit maîtres artisans, révélant ainsi quelques-uns de nos plus grands talents. Visite du Pavillon Maroc et rencontres d’exception.
Du 8 au 12 juin dernier, plus de 300 exposants d’excellence, venus des quatre coins du monde, notamment d’Afrique, continent mis à l’honneur cette année, présentaient à un public de connaisseurs leurs dernières œuvres. Grâce au soutien et à l’implication de La Maison de l’Artisan et du Ministère du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Économie Solidaire, cet événement mondial voyait la première participation officielle du Maroc. Elle fut, pour nombre de visiteurs une véritable révélation. «L’enthousiasme qu’ont suscité les créations marocaines auprès du Comité d’Orientation artistique, des collectionneurs et professionnels internationaux, confirme la pertinence de notre présence à cette Biennale. Ensemble, avec les huit maisons marocaines participantes, nous avons pour ambition de donner à l’international un nouveau regard sur la création et l’artisanat d’art du Royaume mais aussi d’insuffler une nouvelle dynamique nationale aux savoir-faire traditionnels», a souligné Yasmina Rhoulami, Commissaire de cette exposition. Celle-ci a conçu, avec ses complices, Samira Saoud, la directrice artistique et Anissa Balafrej, l’architecte et scénographe, un véritable voyage en onze étapes ou œuvres d’exception, qui chacune est un chapitre du grand livre des métiers d’art du Maroc.
SOUMIYA JALAL
Lumière !
Tel est le titre de cette installation signée Soumiya Jalal, qui initie cette exploration. L’architecte de formation a trouvé dans les métiers du fil la voie qui lui permet d’aller au bout de sa réflexion créative, architecturale et artisanale. Plongeant au plus profond de ses racines culturelles, Soumiya Jalal se situe toutefois au cœur de la modernité. L’œil toujours ouvert, elle rassemble les fibres les plus disparates (ficelle de chanvre, laine, sisal, bolduc, raphia…) puis, guidée seulement par son inspiration et un savoir-faire rare, elle les entremêle jusqu’à la métamorphose. Les fibres se muent en texture unique et exclusive qui se joue des transparences et des reflets de lumière. Ses tissages résonnent aussi comme une métaphore de la vie où les fragilités, en se réunissant, se muent en force et en résilience.
Ses créations sont exposées dans de nombreuses galeries et musées au Maroc comme à l’étranger ainsi que dans des demeures d’exception. Parfois l’architecte les installe elle-même. « J’ai appris à théâtraliser les espaces. J’aime l’idée d’offrir à chacun un écrin particulier pour se sentir précieux, pour se sentir unique », avoue-t-elle. Engagée socialement depuis toujours, Soumiya Jalal aime à transmettre son savoir-faire et sa vision d’excellence aux artisanes qui travaillent avec elle pour que celles-ci puissent elles aussi emmener le tissage marocain vers des horizons inédits.
MAISON SERGHINI
Terre
Connue mondialement, la Maison Serghini s’inscrit dans la longue tradition de la céramique d’art et fait rayonner la ville de Safi depuis près de deux siècles. Aujourd’hui, la tradition se poursuit de père en fils et en fille. En effet, diplômé de l’ENSA de Limoges, Younes Serghini, 8ème génération, modernise les ateliers avec sa sœur Aziza Serghini tout en poursuivant ses recherches artistiques, explorant toujours plus loin l’univers infini des formes et des couleurs. Présentées à Révélations, ses dernières œuvres, imposantes par leur puissance et leur élégance, rendent hommage à la terre marocaine et ses camaïeux de couleurs naturelles mais aussi les verts profonds des oliviers, des champs et des palmeraies, sources d’inspiration des poteries traditionnelles de Tamegroute, dont l’origine se perd dans la nuit des temps. Parfois, l’argile se couvre aussi d’un blanc immaculé, universel et contemporain. « Chaque forme, chaque courbe traduit un moment inédit dans le temps qui, soudain, se fige dans l’argile. La compréhension des pigments et la maîtrise du feu transforment cet instant en une pièce unique. Mes créations portent en elles mon histoire personnelle et huit générations de savoir-faire », souligne-t-il.
GHIZLANE SAHLI
Mer(0), Origine du monde
Avec cette œuvre à la fascinante couleur corail, Ghizlane Sahli, évoque la force de la transformation, la puissance du féminin. Cette architecte de formation s’empare des techniques ancestrales des brodeuses pour réaliser ses idées contemporaines. Accomplis inlassablement, de manière répétitive et méditative, les gestes se muent en mouvements qui imprègnent de spiritualité tout le processus de création jusqu’à, peut-être insuffler la vie à ce corps nouveau. L’élément végétal, la soie, matière noble et naturelle, régénère le plastique, pure invention humaine et rebus universel de nos sociétés modernes. « J’imagine une main géante qui viendrait prendre ce corps nouveau, le secouer et le nettoyer de toutes les pollutions acquises durant son existence. L’Éducation, la religion, la société, la culture, les traditions, et ne garderait en lui que l’essence universelle de son humanité. Une espèce de concentré de l’essentiel. C’est de ces émotions-là dont j’ai envie de parler », souligne l’artiste.
HAMZA KADIRI
Un pont entre les cultures
Nous voici devant trois créations de Hamza Kadiri, né dans une famille de Fès réputée pour son travail d’ébénisterie. Féru de mythologie et d’histoire des arts décoratifs, l’artiste crée des ponts temporels mais aussi culturels qui ouvrent la voie à une nouvelle universalité. BT2102 est un bahut en ébène royal du Laos, une essence extrêmement rare et délicate à manipuler. Avec douceur, il a magnifié les lignes du bois qui coulent comme des pleurs de sève noire et a utilisé toute l’excellence de sa technique pour arrondir le bois. B01 est un banc-pont en frêne massif dont les lignes du bois soulignent la fluidité de la forme. Quant à BB102, directement inspiré de l’époque baroque, son travail magnifie la loupe de noyer en utilisant la vérité brute du bois, un travail d’une extrême originalité. « Chacune de mes créations est la résultante d’un voyage hors des chemins balisés. L’histoire commence par l’écoute du bois puis l’observation attentive de ses lignes et de sa texture qui, comme les veines du marbre, donnent au bois toute sa beauté et son identité. Il faut ensuite faire œuvre de technicité pour conduire la matière là où je veux qu’elle aille, même si cela semble de prime abord irréaliste », nous confie-t-il. Présent dans plusieurs galeries d’art à travers le monde, tels que Fortin à Paris et Todd Merrill à New York, Hamza Kadiri est un acteur engagé, déterminé à préserver l’excellence de savoir-faire traditionnels et à inscrire le Maroc dans le cercle très fermé des pays qui comptent dans le monde des métiers d’art et d’excellence.
MAISON MEFTAH
Envol et Pixel
Le désert, les grains de sable se métamorphosent en pixel avec le travail exceptionnel de Maison Meftah qui s’appuie sur deux savoir-faire traditionnels du Maroc, la dinanderie et l’ajourage du métal précieux. Le métal se métamorphose en dentelle d’une finesse jusque-là inimaginée, devenant de véritables bijoux d’intérieur qui sculptent la lumière par un jeu subtil de lignes complexes et de figures géométriques allant jusqu’à la dématérialisation. Maison Meftah est née du rêve commun d’une fratrie opérant dans des univers divers mais partageant une double ambition. D’une part, pousser les limites d’un savoir-faire reçu en partage, en le mettant à l’épreuve de l’ultra modernité et de la fonctionnalité. D’autre part, conserver l’intégrité de gestes traditionnels qui font intrinsèquement partie du patrimoine culturel de l’humanité. Présents à Révélations en 2019, ils ont transformé l’essai en collaborant avec l’avionneur Dassault pour magnifier l’intérieur du jet Falcon 900X, dont une maquette est installée dans le Pavillon Maroc. Maison Meftah travaille également sur le Yacht by Lalique©, signé par les célèbres designers internationaux Nicolla Borella et Philippe Renaudeau. « Nous aimons par-dessus tout inviter nos clients dans nos ateliers et amorcer un dialogue entre sa sensibilité propre et notre philosophie de l’artefact. La promesse d’une création unique », nous indique l’un des membres de cette fratrie d’exception.
SALIMA CHAOUI AZIZ
La relève
Salima Chaoui Aziz est une étoile montante des métiers d’art au Maroc. Elle propose une création brute et délicate à la fois. En collaboration avec le studio d’architecture d’intérieur de Kanza Ben Cherif, Salima rend honneur à la Kahina, cette guerrière berbère, emblème de la force des femmes marocaines. « Par notre naissance, nous sommes, chacune, un pont entre Orient et Occident, entre Nord et Sud. Nourrie par de multiples inspirations parfois dissonantes ou discordantes, notre démarche de co-création est une déambulation, un voyage à symbolique de fécondité qui n’hésite jamais à unir les matières et les éléments les plus antagonistes pour donner naissance à de nouveaux points d’équilibre », indique Salima Chaoui Aziz. Cette table est un parfait exemple de cette démarche. Elle est bâtie, construite en béton et fer, deux matériaux qu’il a fallu dompter avec force et détermination. Après avoir montré leur puissance, elles ont fait œuvre de délicatesse en apposant un matériau aérien : le henné. Sur la modernité froide du béton, elles ravivent un langage universel dont les origines remontent à la préhistoire. Entre prosaïque et poétique, la transformation et le détournement des matières fécondent la rencontre de deux mondes, de deux univers.
JAMIL BENNANI
Renouveau
Le maître ébéniste, architecte d’intérieur et designer Jamil Bennani ne se laisse enfermer dans aucune case, mû par son désir de créer des pièces originales, certaines fonctionnelles, d’autres pures sculptures d’art. « Tout part d’un regard, d’une émotion. Le bois anime en moi l’envie de créer, d’immortaliser l’émotion. Il s’agit de sculpter dans la masse la matière prise dans son état premier pour l’apprivoiser, lui donner une dynamique empreinte de liberté et, aux confins des équilibres graphiques, faire naître une vie nouvelle, unique, qui chante la nature et l’Afrique » nous avoue l’artiste.
Son travail, exigeant et d’une fulgurante liberté plastique, bouscule les traditions artisanales et culturelles, pour mieux en extraire l’essence, devenant ainsi une mise en lumière contemporaine, délicate et généreusement épurée, des savoir-faire millénaires. Il en va ainsi pour Naga. Entre tradition et création, cette pièce mobilière ravive le patrimoine du Sud. Le bois soutient une gravure sur cuir de chameau, un travail à la main des femmes du Grand Sud marocain, revisité par l’artiste. Parfois, l’artiste explore les limites des lois de la gravité pour transcender le temps et les étiquettes avec des œuvres aériennes telles que Dervich, Souffle ou encore Voile, odes à la liberté et à l’esprit créatif. Le bois reste brut ou s’enveloppe de laque, de pigment d’or ou de peinture, à l’instar d’une émouvante œuvre à quatre mains, matérialisation d’une transmission bienveillante entre un père, Karim Bennani, icône de la peinture marocaine, et son fils. Deux êtres liés par un profond sentiment de respect et d’amour. Cette œuvre rappelle aussi que les métiers d’art sont une histoire de passion et de transmission. Il ne pouvait pas y avoir plus beau message pour clôturer ce voyage à travers les talents marocains d’aujourd’hui.