Nous avons eu l’honneur de visiter l’appartement de Coco Chanel située au deuxième étage du 31 de la rue Cambon, à Paris. Ici, le temps s’est arrêté, mais l’esprit de la couturière habite encore les lieux. On est frappé par l’opulence, l’univers artistique foisonnant et l’atmosphère mystérieuse qui se dégagent de cet endroit classé monument historique que Gabrielle Chanel aimait appeler son «campement». Ici, tout est souvenir, symbole et source d’inspiration.
Photos : © CHANEL
Quand on entre dans l’appartement de Coco Chanel, après avoir gravi les marches de l’escalier aux miroirs, on a l’impression qu’elle vient juste de le quitter pour régler un essayage ou surveiller un défilé. Ses lunettes sont restées sur le bureau, à côté d’un livre ouvert, le service à thé est disposé sur la table. On pourrait presque y sentir des effluves de N° 5, puisque toutes les pièces en étaient parfumées chaque matin, avant son arrivée. Elle a occupé cet appartement situé dans un immeuble du XVIIIème siècle comprenant la boutique au rez-de-chaussée, les salons au 1er et les ateliers au 3ème, dès 1918. Elle dormait au Ritz, mais ici, elle se ressourçait, recevait ses amis, lisait, écrivait, entourée de meubles et d’objets qu’elle avait choisis. Pourtant, alors qu’elle s’est beaucoup exprimée sur la mode, l’élégance ou la séduction, elle n’avait pas vraiment de théorie sur la décoration. Mais l’appartement de la rue Cambon lui ressemble avec ses laques précieuses, ses miroirs opulents, ses lustres-bijoux, ses matières naturelles et ses couleurs silencieuses.
Des talismans précieux
On y trouve un éclectisme qui bouscule les styles, prémices du métissage si en vogue aujourd’hui. Les paravents en laque de Coromandel qu’elle a découverts « défaillante de bonheur » chez un antiquaire de province et qu’elle a collectionnés jusqu’à en posséder trente-deux, ont voyagé avec elle du Faubourg Saint Honoré à Roquebrune, du Ritz à la rue Cambon. Elle en a tapissé les murs de l’entrée de l’appartement. Elle n’a pas hésité à les couper pour les clouer aux murs. Ces paravents ocre rouge et or et leurs motifs (pagodes, chimères, cavaliers, camélias…) se multiplient à l’infini grâce à la magie des miroirs. La chaise basse recouverte de tissu usé sur laquelle la couturière examinait ses créations fait face à une bergère tendue de satin blanc sur laquelle elle a été photographiée par Horst en 1937. Des deux Maures vénitiens, vêtus de bottes d’or, Chanel solitaire disait mélancolique «ce sont mes compagnons». Et chacun devant une porte, ils n’étaient pas placés au hasard : l’un accueille, l’autre raccompagne». Dans le salon où Chanel passait sa vie, le quittant le soir pour aller dormir au Ritz, elle avait mis tout ce qu’elle aimait ; des paravents bien sûr, mais aussi des livres aux reliures patinées (éditions reliées de Shakespeare, Voltaire, Byron et Brontë), et un vaste divan en daim fauve qui était à la fois son trône et son lit de camp. C’est là qu’elle recevait, qu’elle travaillait, qu’elle se reposait. Dans ce salon a défilé le tout Paris : Dali, Picasso, Bérard, Stravinski, Colette, Louise de Vilmorin, mais aussi Marlène Dietrich, Greta Garbo, Romy Schneider, Anouk Aimée, Jeanne Moreau et toutes les autres stars qu’elle a habillées. Ce salon plein de souvenirs glorieux et de passions secrètes n’a pourtant rien d’un mausolée. C’est un endroit chaleureux, traversé de présences et peuplés d’animaux : des lions dorés (c’était son signe astrologique) côtoient des chevaux en grès, des chameaux en terre cuite, des daims en émail moucheté, des grenouilles en cristal…
Un métissage étudié
On retrouve le métissage cher à Chanel sur la cheminée où trônent un masque égyptien,une tête de déesse asiatique et une Venus grecque en marbre blanc. Mademoiselle a également fait preuve d’oecuménisme en rassemblant dans son salon un Bouddha offert par Boy Capel (l’amour de sa vie qui l’iniita aux charmes des arts orientaux), une icône en bonze, don de Stravinski, un panneau en soie peinte du XVème siècle japonais, peuplé de divinités en kimonos et des croix de procession. Ses objets préférés, Chanel les conservait à portée de main, que ce soit la main en bronze offerte par Giacometti posée sur une table chinoise en bout de canapé ou les boîtes en vermeil ciselées aux armes de Westminster avec l’intérieur en or, cadeaux de son amant le Duc de Westminster. L’or, elle l’aimait au point d’en faire badigeonner la toile écrue tendue dans toutes les pièces de l’appartement. Et à la lumière du jour, elle préférait, rideaux tirés, celle ambrée des lampes et des lustres. Celui du salon regroupe tous les symboles de Chanel : camélias, chiffre 5, G de Gabrielle et W de Westminster. Dans la salle à manger, deux immenses paravents se déploient. Et sur la table en noyer de style Louis XIII sont disposés des coquilles d’or qui servent de cendriers, des lions ailés et des assiettes gansées de noir marquées de deux C entrelacés. Le buste en marbre sur la cheminée est celui d’un ecclésiastique anglais, oncle de Boy Capel. De chaque côté de la cheminée, deux consoles baroques achetées à Venise sont soutenues par des statuettes de bois dorés. Chanel a remplacé les plateaux de marbre par des plateaux de laque noire où se reflètent les girandoles. Symétriques, deux miroirs italiens octogonaux affichent des bords en cristal qui rivalisent avec les lustres. Les huit chaises Louis XVI sont recouvertes de daim beige. Chanel ne recevait à sa table que des intimes. La vaisselle était raffinée, les couverts en vermeil, mais les plats simples. Le bureau est quant à lui composé de paravents aux tonalités automnales (les plus précieux de la collection selon les experts), d’un canapé XVIIIè siècle, d’une table basse réalisée par Goosens avec un plateau de verre qui repose sur des nénuphars dorés.
Une perpétuelle source d’inspiration
Cet appartement, qui continue à exister au gré des séances photo qu’il accueille, inspire toujours les créateurs de la maison Chanel. Peter Philps, directeur de la création Maquillage a été influencé par les tentures de soie recouvertes d’or mat pour sa première collection Les Ors, tandis que Jean-Paul Goude a utilisé la cage à oiseaux offerte à Gabrielle Chanel par une première d’atelier pour la publicité du parfum Coco avec Vanessa Paradis.
« La beauté s’invente toujours, la respecter c’est la détruire pour qu’elle renaisse» aurait dit Coco Chanel à l’artisan à qui elle avait ordonné de scier les paravents pour en tapisser les murs…