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Architectes & Décorateurs

Kamil Hajii
Le Zellige, un terrain de jeu créatif

By août 30, 2024No Comments

Né à Casablanca et résidant entre Marrakech et Lausanne, Kamil Hajii, artiste, architecte et designer suisse-marocain, nous dévoile son parcours créatif unique qui fusionne le design contemporain avec l’artisanat traditionnel marocain. Fondateur de la marque Fen en 2023, il nous parle de son obsession pour les motifs géométriques, son inspiration tirée du Bauhaus, et son ambition de créer un véritable pont culturel entre la Suisse et le Maroc.

Quels matériaux et couleurs privilégiez-vous dans vos créations, et pourquoi ?

Je travaille principalement avec notre sublime mosaïque nationale, le zellige, que je trouve extrêmement belle. Ce savoir-faire ancien est d’une richesse inégalée, tant en termes de variations de formes possibles, taillées à la main, que de couleurs. Mon attrait pour le zellige vient de sa dimension traditionnelle et de ses propriétés intrinsèques. Premièrement, je suis fasciné par l’artisanat marocain, et je souhaitais absolument l’intégrer dans la première collection de Fen. Quoi de mieux que le zellige pour commencer ? Deuxièmement, le zellige a des propriétés qui le rendent très versatile en termes d’utilisation. Il est issu d’une terre glaise venant de la région de Fès, reconnue pour ses propriétés particulières de dureté et de résistance, mais aussi de vitrification lors de l’émaillage. Sa dureté permet de sculpter des formes extrêmement précises, sans qu’elles ne s’effritent pendant la taille, et donc de créer des compositions sans cesse renouvelées. La vitrification, particulièrement belle après sa seconde cuisson dans les fours traditionnels, permet non seulement de lui donner cette brillance si particulière, qui évoque les reflets de l’eau, mais aussi de créer des variations subtiles sur une même teinte, ce qui donne finalement son aspect unique à chaque création.

Comment fusionnez-vous le design contemporain avec l’artisanat marocain dans vos créations ?

Dès le début, j’ai souhaité que Fen incarne un pont entre l’artisanat et le design, mais aussi entre tradition et innovation, en intégrant les savoir-faire anciens dans des créations résolument contemporaines. Ce processus de fusion se fait tant à travers une recherche esthétique que technique. Tout d’abord, j’imagine des pièces résolument ancrées dans leur époque. Lignes épurées et design minimaliste ont été au cœur de mon approche. J’ai même imaginé de nouvelles formes de zellige qui n’existent pas dans la tradition en faisant des recherches mathématiques, par exemple. D’autre part, je mène une réflexion technique qui va de pair avec la recherche esthétique. Je travaille, par exemple, avec de l’acier pour fabriquer les pieds et la structure des tables. Nous travaillons avec des épaisseurs minimales pour réduire le poids tout en gardant une bonne résistance, ou encore en utilisant des peintures thermolaquées pour résister à la rouille. Nous utilisons aussi des résines spécifiques pour coller les pièces de zellige, au lieu du ciment. J’aimerais pouvoir aller encore plus loin, en utilisant des matériaux nouveaux, recyclés, en créant des partenariats avec la recherche scientifique, si possible.

Comment Fen traduit-il concrètement l’idée d’un « pont culturel » entre la Suisse, le Maroc, et l’Europe ?

J’aspire en effet à ce que Fen devienne une véritable plateforme d’échange entre les rives de la Méditerranée, entre le Maroc, la Suisse (où j’ai étudié et vécu pendant de nombreuses années), et l’Europe. Cela passe, selon moi, d’abord par la création d’échanges humains autour du design, en invitant de jeunes designers suisses et européens à imaginer des objets de design qui intègrent l’artisanat marocain, de manière subtile ou plus évidente. Je collabore, par exemple, déjà avec des designers issus de l’ECAL en Suisse et de l’École des beaux-arts de Casablanca sur de futures créations. Idéalement, j’aimerais pouvoir aussi créer de la mobilité entre artisans, mais cela sera plus difficile, malheureusement à cause des restrictions de mobilité qu’ils pourraient subir. Je ferai en tout cas de mon mieux pour qu’un jour des stages puissent être organisés.

Qu’est-ce qui vous a poussé à évoluer du style Bauhaus vers un design plus post-moderne et expérimental ?

J’ai toujours été fasciné par le mouvement du Bauhaus, qui se caractérisait par son minimalisme rigoureux, prônant une esthétique où la forme est dictée par la fonction. Par ailleurs, le Bauhaus se caractérisait par son approche expérimentale en matière de matériaux et de techniques, ainsi que par sa quête d’un langage visuel universel, transcendant les barrières culturelles. Les premières tables de la série Ligna que j’ai dessinées sont clairement inspirées par ce mouvement. Plus récemment, parce que je souhaitais laisser plus libre cours à mon imagination, je me suis permis davantage de liberté dans mes dessins, dans les formes que j’imagine. La création contemporaine puise son inspiration dans différentes sources et courants. Adorant expérimenter, il était pour moi primordial de ne pas me cantonner à un style particulier, tout en conservant bien sûr une certaine cohérence.

Comment associez-vous les règles mathématiques à l’esthétique visuelle dans vos créations ?

Je pense que la nature recèle de mystères et qu’il est possible de trouver des règles universelles qui permettent d’atteindre le beau de manière objective. Une partie de celles-ci réside dans les lois mathématiques, qui s’allient particulièrement bien au zellige, puisqu’historiquement, toutes les compositions en zellige que l’on retrouve dans les monuments historiques sont basées sur des calculs mathématiques bien précis. J’ai ainsi cherché à intégrer le nombre d’or, que l’on retrouve dans les plantes et même dans le corps humain, dans certaines de mes compositions en zellige. J’ai aussi décortiqué les principes mathématiques derrière les tessellations de l’Alhambra de Grenade et, en opérant certaines modifications, développé des formes différentes. Bien sûr, il est aussi possible de créer du beau sans forcément opérer des calculs mathématiques précis, et c’est là que l’œil du designer intervient.

@kamil.hajji