En 2015, le musée de la mode de Paris a organisé en étroite collaboration avec Alber Elbaz, directeur artistique de la Maison Lanvin, une rétrospective consacrée à Jeanne Lanvin (1867-1946). L’occasion de revenir sur le destin exceptionnel d’une couturière qui fut aussi décoratrice et à l’origine du mouvement art déco.
Dès le début des années 1920, Jeanne Lanvin se lance dans de nouveaux défis. Elle décide d’assurer une production de décoration de luxe au moment où celle-ci s’industrialise…
Les débuts du lifestyle
Pionnière, elle invente avant l’heure le lifestyle, en s’associant à l’architecte décorateur Armand-Albert Rateau qu’elle a rencontré chez Paul Poiray. Formé à l’ecole Boulle puis dessinateur chez le grand décorateur Georges Hoentschel, Rateau a ouvert en 1919 ses propres ateliers de dessin et de fabrication à Levallois. Avec Jeanne Lanvin, cet esthète à contre-courant des modes, crée un pavillon de décoration, établi au 25, rue du Faubourg Saint-Honoré, en face de sa maison de couture. La boutique propose meubles, tapis, rideaux, miroirs, chandeliers, carrelages, vitraux, papiers peints, boiseries, sculptures murales de marbre ou de bois, ornements, dorures et broderies… Lanvin Décoration devient le spécialiste des panneaux de broderies à accrocher aux murs (Jeanne Lanvin fur la première à ouvrir trois ateliers de broderie au sein de sa maison). Mais on retrouve aussi l’ADN de la maison de couture dans la marguerite, prénom de sa fille, qui fleurit sur les murs, les plafonds, les fauteuils et les portes. «Pour une artiste telle que Jeanne Lanvin, il ne suffisait pas de créer des vêtements rendant les femmes idéales. Elle songeait à l’environnement qui pourrait les prolonger et survivre à la nature périssable».
Une association fructueuse
Elle apporte à l’association avec Rateau ses idées créatives et son goût unique. Parallèlement à la création de cette entreprise, Rateau poursuit la décoration de l’hôtel particulier de Jeanne Lanvin, rue Barbet-de-Jouy, ancien hôtel particulier de la marquise Arconati-Visconti. Elle fait construire une aile de réception dont les salles (vestibule, bibliothèque, galerie, salle à manger) sont aménagés par le décorateur de 1921 à 1924. Celui-ci aménagera également en 1924-1925, les trois pièces (salle de bain, chambre et boudoir) de son appartement privé situé au deuxième étage, sous les combles.
Dans ces trois pièces, le décorateur intégra l’Antiquité, l’Orient et un bestiaire original dans un univers décoratif très personnel. D’autres commandes suivent : agencement, décoration et mobilier de la villa du Vésinet, boutique du 22 Faubourg. En 1921, Jeanne Lanvin dirige la décoration du Théâtre Daunou réalisé par Rateau. Les dorures et le bleu habillent ce lieu. Là aussi, l’esprit Lanvin s’illustre dans les somptueuses boiseries couvertes de sculptures d’animaux, de feuillages et de marguerites.
On peut toujours admirer ce joyau de l’art déco, alors que l’hôtel particulier de Barbet de Jouy a été détruit en 1965. On peut néanmoins admirer le boudoir, la chambre à coucher et la salle de bain reconstitués au Musée des arts décoratifs de Paris. Si ce patrimoine a été préservé c’est grâce au prince Louis de Polignac, en souvenir de la comtesse Jean de Polignac, fille de Jeanne Lanvin qui offrit au musée des Arts décoratifs boiseries, soies, meubles et objets décoratifs.
Dans la salle de bain, le marbre Hauteville côtoie le stuc et le bronze patiné vert antique. Cette salle de bain au luxe inouï rappelle les revêtements de marbre des bains antiques et des hammams orientaux et reflète l’une des préoccupations majeures de Jeanne Lanvin : les soins du corps. La couturière créa des lignes de cosmétiques et de parfums, dont le célèbre Arpège lancé en 1927 (flacon dessiné par Rateau). La chambre est entièrement revêtue de soie « bleu Lanvin », ce bleu dont la couturière s’est éprise en découvrant les peintres primitifs italiens. Les tentures ont été brodées de palmes, rosaces et marguerites dans les ateliers de la maison de couture. Le dessus-de-lit, les rideaux et le cache radiateur ont été réalisés dans le même tissu brodé. On retrouve les marguerites dans le bois sculpté. Les poignées de porte en bronze doré sont agrémentées de sulfures, objets collectionnés par Jeanne Lanvin.
Les murs du boudoir sont recouverts de lambris panneautés, peints en gris Trianon, rehaussés de moulures dorées . Le sol est recouvert de dalles en marbre noir et blanc. Dans des vitrines sont disposés des bijoux, des opalines, des porcelaines de Paris, des éventails…
Pour en savoir plus
Décoration et haute couture ; Armand Albert Rateau pour Jeanne Lanvin, un autre art déco
Ce livre d’Hélène Guéné, professeur d’histoire de l’art contemporain, raconte l’histoire singulière de la rencontre entre la célèbre couturière et le décorateur. On découvre combien les univers des deux créateurs sont proches, par leur attachement à un passé qu’ils réinterprètent avec une grande liberté. Aux précieuses broderies de l’une répondent les motifs sophistiqués de l’autre, élaborés dans un même monde où l’imaginaire tient la première place. Riche d’informations inédites, ce livre fait revivre l’extraordinaire élan créatif qui régnait, après la Première Guerre mondiale, dans le domaine de la décoration comme dans l’art en général. Son iconographie, provenant aussi bien d’archives privées ou publiques que d’une campagne photographique spécialement réalisée pour l’occasion, en fait aussi un très beau livre sur les plus fructueuses années de l’Art déco.
Edition Les arts décoratifs