Contre-courant des modes et de l’uniformisation ambiante, le style de Jaime Hayon ne peut pas laisser indifférent. On aime ou on déteste. Nous on adore son écriture personnelle, sa bonne humeur, son langage construit sur les routes d’un monde sans frontières, ses bestiaires, ses clowns, et ses délires fantasticoludiques qui en font aujourd’hui un des designers les plus courtisés du monde. Heureuses d’avoir pu réaliser un de nos rêves en l’interviewant, nous partageons ce moment avec vous. En le lisant, vous comprendrez mieux comment il insuffle joie et fantaisie à tout ce qu’il touche.
Vous êtes né à Madrid mais avez choisi Valence pour vivre et travailler. Pourquoi cette ville en particulier ?
En effet, je suis né à Madrid, mais j’ai commencé à voyager depuis mon adolescence. J’ai vécu quelques temps aux Etats-Unis avant de revenir pour terminer mes études à Madrid. J’ai également fait un passage par Paris et l’Italie. Lorsque je suis retourné en Espagne, je me suis installé à Madrid avant de m’envoler pour Londres. Comme vous pouvez le constater en regardant mes différents points de chute, j’ai passé très peu de temps à Madrid ces vingt dernières années. J’ai monté une agence de conseil à Valence et du coup, j’y ai passé pas mal de temps. Il faut dire qu’après les années londoniennes, j’étais à la recherche de quelque chose aux antipodes de ce que j’y avais connu et Valence s’est naturellement imposée : simple, ensoleillée avec une douceur et une qualité de vie inégalables. Nous avons donc décidé d’y déposer nos valises.
Pensez-vous qu’il existe une école de design espagnole et le cas échéant, quelles en seraient les caractéristiques principales ?
Tout à fait. Mais pour être plus précis, je dirais qu’il existe plusieurs écoles de design en Espagne. Une associée à la période des années 50 et 60, qui a jeté les bases de ce que l’on pourrait qualifier de tradition, une autre liée aux années 80 et 90 puis la dernière, contemporaine, que nous vivons actuellement. Bien entendu, chacune
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Elles sont infinies ! Je tire mon inspiration d’univers fantasmagoriques, mais également des lieux que je fréquente ou que je visite, des livres que je lis et de tout ce qui m’entoure en général.
Pourquoi aimez-vous mélanger les matériaux et vous jouer des frontières entre l’art et le design ?
Ce n’est pas un choix intentionnel. Cela relève davantage de la manière dont je perçois et visualise les choses. Je suis passionné par les matériaux de qualité et ne peux m’empêcher de concevoir mes propres versions de chaque objet ou pièce. Je ne perçois pas de frontière entre l’art et le design. Dans ma tête, il s’agit d’un tout et dans mon processus de création, ma démarche est la même quand je conçois des oeuvres d’art ou des objets de décoration intérieure. Le point de départ est souvent le même. Lorsqu’un thème m’inspire, je m’engage dans une exploration de toutes les formes qu’il peut revêtir, en recourant à différents matériaux sans perdre de vue la fonctionnalité de l’objet créé.
Quel est votre matériau préféré ?
Question difficile, parce qu’il est délicat de faire une distinction entre les matériaux dans l’absolu, mais j’ai une nette préférence pour les les matériaux naturels comme la céramique, la pierre ou encore le bois.
Vous aimez collaborer avec des artisans. Qu’est-ce que cela vous apporte ?
Travailler étroitement avec des artisans vous permet d’apprendre beaucoup de choses et de gestes qui vous amènent à mieux appréhender les matériaux utilisés et la manière dont ils sont transformés. Ensuite, il reste à améliorer le savoir et le porter à de nouveaux sommets avec la personne la mieux placée pour vous accompagner dans ce processus : le maitre artisan.
Comment définiriez-vous votre style ?
Il est indéfinissable ! Certains le qualifient même d’imprévisible. Pour ma part, je revendique son caractère simple, avec une touche d’humour, loin de toute prétention. Il est certes basé pour une bonne part sur l’innovation, mais dans le respect d’une certaine tradition. Il est difficile de le réduire à quelques vocables.
D’où vient cette joie de vivre qu’on ne peut dissocier de votre travail ?
C’est simplement le reflet de ma personnalité qui transparaît dans mon travail. On peut dire que mon travail est la représentation de ma manière de percevoir le monde qui nous entoure, ou parfois le monde tel que j’aimerais le voir. L’énergie positive est un pilier fondamental de tout ce que j’entreprends.
D’où vous vient votre passion pour le dessin ?
J’ai appris à dessiner dans ma première jeunesse, puis j’ai poursuivi lors de mes études de design, ce qui m’a permis d’approfondir ma compréhension et ma technique. Puis j’ai vite réalisé, que c’était le meilleur outil pour partager et transmettre mes idées. Je pense pouvoir dire sans hésitation que le dessin est ce que j’aime le plus dans mon activité.
Quelles sont, selon vous, les raisons de votre succès ?
Cela tient pour moi en peu de mots : ma personnalité, mais surtout l’effort et le travail permanent, ma détermination et ma volonté de challenger l’industrie.
Que pensez-vous de l’assertion de Chantal Granier, la directrice artistique de Baccarat qui vous qualifie d’«Almodovar du design» ?
Cela me touche et m’honore. J’ai grandi avec les films d’Almodovar. Son langage a eu un énorme impact sur tous les gens de ma génération. De plus, je suis très sensible à cette approche filmique qui lui est très personnelle.
Comment gérez-vous les va-et-viens entre le baroque de BD Barcelona et le minimalisme de Fritz Hansen ?
Là aussi je dirais en peu de mots : 10 ans d’apprentissage continu et assidu ; l’exploration permanente de diverses voies et ma propre évolution.
BD Barcelona a organisé durant le London Design Festival une exposition consacrée à vos 10 années de collaboration. Comment jugez-vous cette expérience entamée avec une marque alors que vous étiez encore un jeune designer ?
Notre relation est très particulière. Malgré les années, nous continuons à travailler ensemble sur de nouveaux projets.
C’est une marque qui m’est très chère parce que BD Barcelona a pris un gros risque en pariant sur moi à mes débuts et a toujours soutenu mes idées et mes projets.
Cette collaboration a été et reste géniale pour chacun d’entre nous.
Y a-t-il une marque avec laquelle vous aimeriez réaliser un nouveau projet ?
J’aime réaliser de nouvelles choses, me confronter à des défis que je n’ai encore jamais relevés, et continuer à apprendre. Du coup, lorsqu’un nouveau projet se présente, je me sens pousser des ailes. J’aime également developper des relations fortes, durables et colorées aves les marques que j’admire et qui me font vibrer.
Quels sont vos projets ?
Je continuerai à m’amuser en faisant des choses que j’aime faire, en accordant à ma famille la priorité et à planifier de nouvelles aventures en vivant chaque jour le plus intensément possible, comme si c’était le dernier.
Pour terminer cet entretien, quelle serait votre définition du luxe ?
Qualité à l’épreuve du temps, confort, ambiance unique et parfaite sont pour moi les ingrédients clés du luxe.
Bio Express
Express, difficile avec un designer aussi prolifique que Jaime Hayon ! Né à Madrid en 1974, Jaime Hayon à fait des études de design industriel dans sa ville natale, puis à Paris, avant de rejoindre Fabrica (académie italienne de design et communication financée par Benetton et imaginé par le photographe Oliviero Toscani) où il dirigeait le département design jusqu’en 2003. Il se consacre alors à ses propres projets dans ses agences en Italie, Espagne et Japon et ses créations sont exposées dans de nombreuses galeries, attirant l’attention de prestigieux collectionneurs d’art. Son intérêt pour l’artisanat l’amène à travailler avec des marques comme Baccarat, Choemon, Lladro, Bosa Ceramiche. Il crée du mobilier pour Fritz Hansen, Magis, Established & Sons, Bisazza, BD Barcelona, Se London, Bernhardt Design, Ceccotti et Moooi ; ainsi que d es a ccessoires p our P iper H eidsieck, G aia et Gino, The Rug Company. Il intervient également sur l’architecture intérieure de boutiques (Camper, Octium…), d’hôtels et restaurants (Le Sergent Recruteur à Paris, La Terraza del Casino à Madrid…). Il a remporté de nombreux prix dont le «Best Installation» par Icon Magazine, «Breakthrough Creator» par le magazine Wallpaper, «Elle Deco International Award» en 2006, 2012 et 2016, Elle Deco Allemagne: «Best International Designer» en 2008, «Best Designer» pour Elle Déco Japon en 2008, «Designer of the year» AD Russie en 2009, Maison&Objet Créateur de l’année 2010, entre autres. Pour Times, Hayon est l’un des 100 créateurs les plus pertinents de son temps, alors que le magazine Wallpaper le référence comme l’un des créateurs les plus influents. Une monographie, «Jaime Hayon works», mettant en lumière les différentes facettes de son travail est parue aux éditions Die Gestalten Verlag en 2008.