Duo soudé dans la vie comme au bureau, Sylvain et Dorothée ont, après de jolis parcours respectifs, décidé de lancer leur propre agence d’architecture. Basée à Marrakech, « Aire au Carré » leur permet, depuis près de deux ans, d’exprimer toute leur créativité dans un souci éthique et profondément humaniste.
Comment êtes-vous venus à exercer au Maroc?
Nous sommes arrivés en octobre 2006 à Marrakech. A l’époque, nous venions tout juste d’être diplômés. Nous n’avions pas vraiment pris la décision de nous installer durablement au Maroc. Treize ans plus tard, nous sommes toujours là car nous avons, en plus d’avoir eu un vrai coup de cœur pour Marrakech, trouvé un bel équilibre tant dans notre vie professionnelle que personnelle. A notre arrivée, la ville était alors en pleine euphorie immobilière. On construisait de partout, ce qui nous a permis de trouver du travail tout de suite mais surtout d’avoir quasi instantanément énormément de responsabilités. Pour de jeunes diplômés, être à la tête de conceptions pharaoniques comme des hôtels, des complexes de villas ou encore des cliniques, était complètement fou! Malgré quelques erreurs, cela nous a permis d’apprendre énormément en très peu de temps. Aussi, cela nous a valu d’être directement en contact avec les réalités de chantier. Après un an passé dans la même agence, nous avons suivi nos propres chemins et avons évolué dans des structures aux spécialités et aux méthodologies radicalement différentes, et ce, pendant près de 10 ans.
Qu’est-ce qui a motivé la création de votre propre agence?
Voilà bientôt 2 ans que nous nous sommes lancés dans cette aventure. Pour nous, cela a toujours représenté un projet de vie de monter notre propre structure. Toutefois, nous ne voulions pas précipiter les choses mais plutôt attendre le moment opportun. En gardant à l’esprit cet objectif, nous avons vécu à fond nos expériences respectives afin de poursuivre nos formations et d’affiner nos identités. Nos parcours respectifs nous ont vraiment permis de travailler un large panel de projets de même qu’à développer des affinités distinctes (Sylvain est davantage axé sur l’architecture et Dorothée sur l’architecture d’intérieur et la décoration ndlr). Aujourd’hui, nos approches méthodologiques et nos expertises font que, bien souvent, sur base de confrontations constructives, nous créons de belles visions communes. Au quotidien, nous avons à cœur d’être véritablement polyvalents. Ce qui fait que sur la journée, on peut passer de la conception, à la rencontre des fournisseurs ou aux déplacements sur les chantiers. La diversité qui caractérise notre métier fait partie de ce qui nous anime chaque jour depuis nos débuts.
Si vous n’aviez que trois mots pour définir votre travail quels seraient-ils?
Créativité, connaissance, compétence.
Qu’est-ce qui, selon vous, concoure de manière décisive au choix de vos projets et à leurs bonnes tenues?
Pour nous, ce qui est crucial, à la fois pour le choix et pour la réussite d’un projet, c’est la confiance du maître d’ouvrage envers nous. Notre client doit avoir l’assurance d’être entre de bonnes mains. Ce n’est pas toujours évident car la profession d’architecte ou de décorateur n’a pas toujours une bonne réputation. Dans notre agence, nous tenons à ce que la composante éthique soit inhérente à l’ensemble de nos interventions. Aujourd’hui, dès les premiers contacts, nous sensibilisons nos clients potentiels sur la nécessité de nous laisser suffisamment de temps pour pouvoir faire les études techniques nécessaires à la bonne tenue de leur projet. Il est aussi question de pouvoir créer des interactions car nous ne pouvons pas établir de synergies efficaces si rien ne se passe au niveau relationnel voire même émotionnel avec nos clients. Nous estimons en effet que lorsque l’on parle de décoration, il y a une connotation sensible qui se dégage car en tant qu’architectes, nous entrons véritablement dans l’intimité des gens.
Avez-vous une marque de fabrique?
Nous n’avons pas véritablement de projets de prédilection ou une manière type de les traiter. Ce qui caractérise davantage notre travail, c’est la diversité et surtout l’atypisme. Avoir l’occasion de contribuer à des projets uniques nous motive énormément. A l’exemple de S.Lianozoff – Maison du Caviar, située à Casablanca qui est une première en Afrique. Nous avons également beaucoup apprécié le projet Dunes et Désert, une station de quad établie dans une ancienne bergerie. Nous avons souhaité renforcer le côté atypique de cette base de loisirs en proposant l’usage de containers. Notre souhait était de souligner l’univers du voyage et de l’incentive tout en donnant l’impression que tout cela pourrait être éphémère.
Opter pour l’atypisme, nous permet à chaque fois de partir d’une page blanche et de nous intéresser véritablement aux objectifs du projet et du maître d’ouvrage. A titre d’exemple, lorsque nous avons travaillé sur une école de théâtre située dans l’ancienne zone industrielle de Marrakech, Le Lab, nous avons tenu à ouvrir la discussion avec le maître d’ouvrage quant aux différentes possibilités d’optimisation des espaces. Ces échanges ont permis d’opter pour un décloisonnement complet. Ce qui fait qu’aujourd’hui, Le Lab est un espace novateur, véritablement investi par le public, dédié à l’art et à l’expression en général.
Quelles sont vos sources d’inspiration?
Nos sources d’inspirations sont diverses – livres, expositions, rencontres, balades en médina – mais nous avons également appris à nous nourrir du net et des réseaux sociaux. Sans pour autant calquer des tendances sur nos conceptions, nous usons d’Internet comme d’une bibliothèque d’images surdimensionnée. Cela demeure pour nous un outil et non pas une part intégrante de notre processus créatif. Nous essayons de demeurer cohérents et justes dans nos choix et de sensibiliser les clients quand à cette composante. Une composition, si belle soit-elle, issue des réseaux ne correspond pas forcement à l’espace dans lequel ils souhaitent l’intégrer – dimension, lumière, orientation. Aussi, le Maroc demeure, pour nous, une source intarissable d’inspirations. Rien de plus enrichissant qu’une balade en montagne ou dans le désert ou que la découverte d’anciennes bâtisses à la matérialité émouvante. Chaque ville du Royaume dispose de vraies spécificités stylistiques desquelles nous aimons nous imprégner. Nous apprécions miser sur le caractère sensoriel de nos recherches.
Quelles sont aujourd’hui vos coups de cœur en termes de tendances, d’associations des matériaux?
Cela n’a rien de particulièrement actuel mais nous avons toujours été fascinés par les matériaux marocains traditionnels et leurs énormes potentialités. Ce que nous recherchons dans nos associations de matériaux, c’est la sensibilité. Grâce au travail manuel des mâalems, les matériaux sont toujours sujets à des histoires, à des émotions et c’est ce que nous apprécions. Dans nos choix, tout marche au coup de cœur. Toutefois, nous ne nous mettons pas de barrière car ce que nous visons aussi, c’est la pertinence des propositions. A titre d’exemple, nous ne sommes pas de grands fans du marbre mais cela nous arrive d’en poser lorsqu’il imprime une cohérence à l’ensemble. Certaines tendances intègrent bien évidemment nos projets mais nous n’allons pas jusqu’à être continuellement en quête de la dernière mode.
Quels sont vos conseils pour éviter l’impression showroom d’un projet?
Un projet doit être réfléchi par rapport à une logique et non pas fondé sur un assemblage de coups de cœur et d’images. Il est essentiel d’éviter l’effet copié-collé de ce qu’on peut trouver sur le net et les réseaux. Le travail de l’architecte ou de l’architecte d’intérieur est de justement cristalliser les idées et les émotions en volumes et en matériaux. Personnellement, ce qui nous fait vibrer lorsqu’on présente un Mood Board, c’est l’émotion que l’on va déclencher dans chacune des pièces. La sensorialité peut largement contrebalancer la tendance. On peut d’ailleurs remarquer que des éléments complètement démodés peuvent provoquer toujours autant d’émotions. C’est ainsi que, tout en privilégiant la logique du projet et ses fonctions, ce que l’on vise c’est l’intemporalité.
Un rêve créatif ?
Avec « Aire au carré », nous sommes en plein dedans! On se dit que dans 10 ans, on aura sans doute un autre rêve à réaliser mais en attendant, on vit celui-ci à fond!