Asmae Chraibi parle de son métier d’architecte avec passion et sans fioritures. Même si elle ne se réclame pas du féminisme, elle exerce son métier en guerrière sans jamais se départir de son sourire. La candidate parfaite pour ce numéro consacrée aux femmes…
L’architecture, c’est venu comment ?
L’année de ma première, mes parents se sont mis à faire construire leur maison avec Sijelmassi. J’ai suivi son travail et il m’a sensibilisée à l’architecture. J’ai compris que c’était l’équilibre entre l’art et les sciences et c’est ce qui me plaît dans ce métier.
Diplômée de l’école d’architecture de la Villette, vous êtes partie travailler à Montréal. Que vous a apporté cette expérience ?
Ce fut une excellente expérience. Je fais partie de cette génération, la dernière, qui n’a pas touché à un ordinateur pendant ses études. Moi, pendant toute ma scolarité, j’ai gratté. Il n’y avait pas AutoCAD et tout ça. J’ai débarqué à Montréal avec deux faiblesses : ma méconnaissance des logiciels de conception assistée par ordinateur et du système de pieds et de pouces. J’étais un pur produit du système métrique. J’ai intégré l’agence d’un architecte italien et j’ai appris à me servir d’AutoCAD, j’ai fait du suivi de chantier, etc. J’ai beaucoup appris dans cette petite structure. Ensuite, j’ai passé quelques mois dans une agence qui travaillait beaucoup avec les Etats-Unis. Là, j’ai appris le travail en réseau.
Deux ans après votre retour au Maroc, vous avez ouvert votre agence, pour faire quoi ?
Oui, en 2000, je me suis lancée. Je n’aime pas avoir une étiquette. Au début, j’ai fait beaucoup de promotion immobilière à Casablanca, Rabat et Marrakech. Après j’ai fait beaucoup de bureaux. En ce moment, je fais des villas. J’ai aussi eu une expérience avec le public. En groupement avec quatre autres agences, nous avons fait des écoles primaires, collèges et lycées à Fès.
Quel secteur d’activités vous plaît le plus ?
Ce que j’aime faire, c’est ce que je n’ai pas encore fait. J’ai très envie de travailler sur des projets plus complexes et plus globaux, comme un musée ou un hôtel. J’aime travailler sur les conflits entre la face cachée et la face publique, comme dans un théâtre par exemple. Une symbiose des projets de bureaux et de villas. Pour les bureaux, il faut faire de l’optimisation. Dans une villa, on peut s’éclater avec les matériaux car on est souvent dans l’univers du luxe. J’aimerais faire un projet qui réunit les deux.
Comment définissez-vous votre style ?
Plutôt que de style, je préfère parler des maîtres mots qui définissent mon travail : la lumière, le volume et la fonction. Mais si je dois parler de style, il est résolument moderne, même si j’ai aussi fait des maisons beldi à Marrakech. En fait, l’important, c’est de satisfaire le fantasme du client. J’aime aussi le béton brut, le blanc, les couleurs, le mélange des styles, les superpositions. Je n’aime pas les espaces figés et leur préfère les espaces mobiles (fermés qui peuvent s’ouvrir) et qui transgressent un peu notre tradition d’habitation un peu cloisonnée, le schéma classique de la maison avec un salon intouchable et une salle à manger confinée.
Quel est votre rapport à l’environnement ?
C’est très important pour moi. J’essaye de répondre au maximum aux normes HQE (Haute Qualité Environnementale). J’ai fait deux bâtiments de bureaux qui m’ont apporté de la maturité par rapport à cette problématique : Zurich Assurances et Sidi BB Promotion. On a travaillé avec des bureaux d’études spécialisés en économie d’énergie et des bureaux d’études de façades. On a fait des bâtiments intelligents, plus onéreux en termes de coûts de construction, mais qui permettent de faire des économies par la suite (en climatisation, en chauffage…), et qui offrent plus de confort aux usagers. L’idée est de créer des boîtes les plus hermétiques et les plus autonomes possible.
Qui sont vos maîtres en architecture ?
Ils sont nombreux. J’aime beaucoup Tadao Ando, Luis Barragan, Herzog & de Meuron, Frank Gehry, Zevaco, de Portzamparc, Alvaro Siza…Il y a aussi Louis Kahn que je considère comme un dieu de l’architecture. Je suis sûre qu’il y a un peu de lui dans mon travail, dans une des cases de ma tête aussi. Peut-être la symétrie ou la fonction…C’est en tous les cas quelqu’un que je porte en moi depuis très longtemps. Devant le musée Vitra qu’il a conçu, j’ai pleuré…
Quel regard portez-vous sur Casablanca ?
Je ne pourrais pas vivre ailleurs. J’aime ses superpositions, son vacarme. Même son architecture est bruyante. Je suis très proche du modernisme, mais j’ai aussi un bon bagage en architecture classique. J’ai eu ma période «visite de monuments», mais aujourd’hui, je passe mon chemin pour m’intéresser aux nouveaux projets.
Si vous n’aviez aucune contrainte, qu’aimeriez-vous construire ?
Dans notre métier, on dit souvent que le projet de sa vie, on le trouve la veille de sa mort. L’idéal, surtout dans ce pays, serait d’être son propre client, car parfois, il arrive que le client n’ait pas la culture de ses moyens.
Dernière question, en ce mois de mars où l’on célèbre la femme, c’est dur d’être femme et architecte ?
Oui car nous ne sommes pas toujours prises au sérieux. On me dit souvent : «Tu peux me faire de la déco s’il te plaît ?» . Et je répond, «non, moi j’aime le béton, j’aime bouffer de la poussière». La femme architecte doit bosser beaucoup plus pour gagner la confiance.