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A la une, Tendances

AKRAM El Harraqui, «L’architecte-paysagiste conçoit l’assiette dans laquelle est dressé l’objet de l’architecte. »

By février 10, 2020No Comments

S’étant illustré par de nombreux projets au Maroc et à l’étranger, Akram El Harraqui est, depuis 2015, président de l’Association des Architectes-paysagistes du Maroc (AAPM). Ayant récemment associé les efforts de l’AAPM à ceux de l’Ordre des architectes (CNOA) afin de déclarer l’état d’urgence climatique au Maroc, Akram El Harraqui nous parle de la vision qu’il a de sa profession et de la nécessité d’impliquer l’étude du paysage dans l’ensemble des projets, qu’ils soient publics ou privés.

Par : Mélanie Wilms

 

 

Qu’est-ce qui vous a donné envie de choisir cette profession?
Un mélange de volonté et de hasard! Depuis mon enfance, j’ai un penchant pour le dessin. J’étais encore en maternelle lorsque je suis passé du dessin 2D à la 3D en dessinant des voitures! Alors que mon père a toujours insisté sur l’importance de la lecture, cela m’ennuyait et je me retrouvais souvent à rêver, à imaginer et à observer les détails de mon environnement. J’ai donc commencé très jeune à me nourrir visuellement et à aiguiser mon apprentissage par l’observation. Bien que je me sente attiré par les métiers touchant à la sphère artistique, je me suis d’abord dirigé vers l’informatique. J’ai hésité à me tourner vers l’architecture car, à l’époque, ce secteur me semblait trop saturé au Maroc et il ne correspondait pas vraiment à mes attentes. Très vite pourtant, je me suis rendu compte que ma place n’était pas derrière un ordinateur et que j’avais besoin de pouvoir exprimer ma créativité. Sans vraiment connaître le domaine, j’ai eu envie d’expérimenter la voie paysagisme en suivant une formation d’un an. Finalement, il s’est avéré que je m’étais engagé dans un programme de cinq ans, plus deux années de stages obligatoires! Plutôt que de mentionner, au cours de l’inscription, que j’avais fait une erreur, j’ai préféré y voir un petit coup de pouce du destin. Chaque cours et chaque heure de classe ont conforté mon choix. J’avais découvert ma passion : la conception de grands paysages.

Pouvez-vous revenir en quelques mots sur votre parcours?
A l’obtention de mon baccalauréat en 1999, j’ai décidé de démarrer mes études à l’Université Laval au Canada. De l’informatique, je me suis rapidement redirigé vers le design graphique qui m’a donné les fondements de l’expression de mon métier. Ma réorientation vers le paysage m’a, quant à elle, apporté la connexion avec la nature et l’humain dont j’avais besoin. Cette filière en lien avec l’architecture m’offrait l’opportunité d’être souvent en extérieur. Au cours de ce cursus de 5 ans, j’ai eu la chance de pouvoir faire un échange avec l’École Nationale Supérieure du Paysage de Versailles, l’une des plus réputées du secteur en France. Après l’obtention de mon diplôme, j’ai pris la décision de tenter ma chance hors des frontières canadiennes. En 2006, j’ai décroché un poste en Chine où le fait d’être étranger m’a propulsé sur des projets de très grande envergure. Là-bas, j’ai été initié au master planning, un domaine qui est devenu une vraie passion. Par la suite, je suis reparti au Canada avec l’intention d’acquérir plus d’expérience et de me former davantage. Ce fut chose faite après mon intégration dans l’important Groupe IBI – DAA, et l’obtention d’un premier master en Design Urbain et d’un second en Gestion de Projet d’Aménagement à l’Université de Montréal et HEC Montréal. Après quelques années, j’ai intégré, puis suis devenu associé de Projet Paysage Inc., une société spécialisée en master planning et en architecture de paysage avec laquelle j’ai apprécié d’intervenir dans différents pays.

Quant est-il de votre retour au Maroc?
C’est 2015 que j’ai entrepris de rentrer au Maroc pour fonder mon agence : Premier Art. Depuis, j’ai travaillé sur plusieurs projets d’envergure au Royaume, notamment la Trémie des Almohades à Casablanca, Marrakech Sport City, la Corniche de Aïn Diab, l’École Américaine de Rabat ou encore le réaménagement urbain du Quartier de Youssoufia. En décembre 2015, j’ai été nommé Président de l’AAPM, l’Association des Architecte-paysagistes du Maroc. Parmi mes accomplissements dans le cadre de ce mandat, je mettrais en exergue l’organisation de la 5ème Édition du Symposium Africain du Paysage et de l’environnement ou encore la création du Comité Climate Change Task Force au sein de l’IFLA (International Federation of Landscape Architects) et, tout récemment, la signature de la Convention des Métiers de l’Aménagement et la Déclaration de l’État d’Urgence Climatique avec le Conseil National de l’Ordre des Architectes.

En quoi consiste votre métier et quel est votre rôle sur un projet?
L’architecte-paysagiste est un concepteur de l’espace extérieur et un acteur de la société impliqué dans la compréhension, l’analyse, mais aussi et surtout, la conception et l’aménagement de l’espace urbain, rural ou territorial. Son champ d’intervention concerne tout ce qui entoure le bâti créé par l’architecte. Les métiers d’architecte et d’architecte-paysagiste sont véritablement complémentaires et partagent d’ailleurs une très grande affinité en termes de méthodologie et d’approche de leur travail.

Si vous n’aviez que trois mots pour définir votre travail, quels seraient-ils?
Créativité, vision et expérience

Comment définissez-vous votre style?
Je ne suis pas intéressé par la définition d’un style en particulier. J’aime rechercher et découvrir le style qui convient à chaque projet. A mon sens, le concepteur se doit de laisser le projet affirmer son identité, celle-ci étant génératrice de l’expérience que l’usager va vivre. Déterminer «La» solution à un problème de conception donné semblait, à mes débuts, s’apparenter à la quête du Graal. Très vite, mes premières expériences dans des équipes pluridisciplinaires m’ont permis de me rendre compte que les processus, en plus d’être nombreux, ne faisaient pas toujours l’unanimité, pas plus que les styles! Mon regard, parfois trop cartésien, m’incitait alors à considérer cette réponse comme découlant d’un procédé scientifique alors que les résultats et les solutions à un projet sont infinis.

Comment juger de la réussite d’une conception paysagère en quelques points clés?
J’estime que la réussite d’un projet se définit avant tout par la qualité de son intégration. Plus il est intégré dans son contexte, plus il est réussi. Je pense notamment en termes de géomorphologie du site et de contexte socio-culturel. Lorsque ces deux aspects ne sont pas traités intelligemment, ils finissent par mener le projet à l’échec. Bien entendu, les aspects de gestion, de même que le respect du budget et des délais sont eux aussi indispensables.

Comment trouver le juste milieu entre esthétisme et fonctionnalité?
Selon moi, la clé d’un bon projet ne se trouve ni dans l’un ni dans l’autre. C’est plutôt l’expérience qui est fondamentale. Au final, que l’esthétisme soit apprécié ou non et que la fonctionnalité soit bien établie ou pas, aucun ne fait vraiment sens si le projet ne créé pas une bonne expérience à l’usager. Ainsi, lorsque je travaille sur la conception d’un resort, la question qui est déterminante est «Est-ce que l’expérience que l’usager pourra ressentir lui créera des souvenirs mémorables?» Si oui, le reste suivra immanquablement.

Pour un particulier, quelles sont les bonnes questions à se poser avant d’avoir recours à un paysagiste?
Les particuliers font encore la malheureuse erreur de voir leurs aménagements extérieurs comme un élément secondaire relevant simplement d’un travail d’embellissement. Pourtant, au quotidien, une mauvaise planification des aménagements extérieurs peut rapidement provoquer des problèmes. Ainsi, il peut suffire, d’une mauvaise pente vers un bâtiment pour créer de très gros soucis d’infiltration et d’humidité, voire même des dégâts au niveau des fondations du bâtiment. Concrètement, plus le projet est complexe, plus une intervention d’aménagement judicieuse et pluridisciplinaire est requise. Je dirais donc qu’avant de se poser trop de questions, il vaut mieux appeler un spécialiste pour en discuter.

A l’heure actuelle, comment
la composante durable se manifeste-t-elle sur les projets et sur les conceptions paysagères en particulier?
Le développement durable et le paysage sont intimement liés et surtout interdépendants. Quelle que soit la nature du projet, il ne peut vraiment commencer sans une compréhension du terrain, en y incluant son environnement, sa topographie, son climat, ses habitants, son histoire, etc. L’architecte-paysagiste est donc un élément pivot dans une équipe car il prend en considération des paramètres locaux de nature biophysiques, géologiques, météorologiques et bien d’autres. En outre, tout aménagement construit par l’homme a une empreinte environnementale. En tant que concepteurs de milieux de vie, notre responsabilité est d’avancer vers un design durable en réduisant cette empreinte au maximum. Il faut savoir que depuis 2012, le développement durable est un droit constitutionnel au Maroc. C’est une grande avancée mais concrètement, la question qui demeure est de savoir comment traduire ce droit en acquis direct pour le citoyen marocain. C’est avec cette visée que l’AAPM et le CNOA se sont réunis le 10 décembre dernier pour décréter et annoncer à la presse l’état d’urgence climatique au Maroc.

Quels sont vos prochains projets?
Mes projets à moyen terme sont orientés essentiellement vers l’Afrique et le Moyen-Orient. J’ai travaillé dans plusieurs pays, toutefois ceux qui sont liés à mes racines continuent de m’interpeller tout particulièrement. La stratégie de développement de mon agence va d’ailleurs dans ce sens. Nous travaillons actuellement en Côte d’Ivoire sur les boulevards officiels d’Abidjan et plus au Nord, dans la jungle d’Adzope ainsi que sur la stratégie de développement touristique du Gouvernorat de Musandam au Sultanat d’Oman.

Avez-vous un rêve créatif particulier?
Je rêverais de créer une ville durable au Maroc qui ferait figure d’exemple en termes d’émissions carbone. Ce lieu écologique, où la composante sociale serait centrale, se doterait des meilleures pratiques et des dernières technologies dont nous disposons aujourd’hui, en intégrant celles issues de notre patrimoine, notamment les procédés d’irrigation traditionnels.

Un état d’urgence!
L’AAPM doit réussir à régulariser et réglementer le métier et, par là même, contribuer à l’organisation des autres professions de l’aménagement. Nous sommes tous concernés et il s’agit vraiment d’un enjeu national. Le secteur de l’aménagement et donc de la construction au Maroc va droit dans une impasse. Sans une action rapide et efficace de la part de tous les professionnels, que l’on soit architecte, gestionnaire de projet, urbaniste, paysagiste mais aussi et surtout donneur d’ouvrage, nous risquons d’atteindre le point de non-retour où il sera tout simplement trop tard.
Pour devenir des agents actifs dans la transition vers des modes de vie durables, les designers doivent changer profondément leur culture et leurs pratiques, mais cela passe par un appui au niveau régalien. De nouveaux outils conceptuels et méthodologiques doivent être développés. De nouvelles idées, solutions et visions générales doivent voir le jour, de même qu’un effort doit être fait pour jouer un rôle positif dans le discours social sur la façon d’imaginer et de construire un avenir durable pour tous!